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Le pas d'armes de Bordeaux

Le pas d'armes de Bordeaux

Titel: Le pas d'armes de Bordeaux Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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sur Castelreng et ses êtres avec l’appui de ses soudoyers. C’eût été remplacer la guerre en armes par une guerre sournoise et perverse. Tant qu’il vivrait, le châtelet lui appartiendrait à bon droit. Il y ferait des apparitions afin d’en manifester la preuve, et si son père un jour achevait son destin, alors, il s’imposerait.
    – Nous ne resterons pas, dit-il sans formuler le moindre prétexte.
    – Mangez ce soir, proposa Thoumelin d’une voix sombre, exténuée.
    Olivier arrondit sa senestre sur la poignée de sa lame :
    – Restez… Je m’en vais saigner un agneau.
    Il s’exprimait avec un plaisir infini. Saigner un agneau ! Combien en avait-il occis, moins par impérieuse nécessité que pour se délecter de leurs affres et souffrances ?
    – Demeurez, mon père !
    C’était une injonction, rien d’autre. Son père ! Certes, il ne savait rien des manœuvres d’Aliénor. Il croyait à cette paternité comme il croyait qu’un jour le château serait sien. Mieux valait, pour le moment, se garder de le dissuader d’entretenir de tels songes.
    Le regard de Tristan tomba sur les mains maigres de son père comme accrochées aux accoudoirs. On eût dit qu’il résistait à la force qui s’opiniâtrait à l’extraire de son siège. Quelle était la nature de celle-ci ? La mort toute proche ou bien l’envie de braver deux importuns et de serrer son hoir 237 , le vrai, dans ses bras, envie refrénée par crainte de représailles ?… De quelle nature eussent-elles été ?
    – Je reviendrai vous voir, Père, de temps en temps.
    – J’y compte bien, mon gars.
    Le visage de Thoumelin ne trahissait qu’une fade amertume. Tristan craignit de rompre, par quelque propos imprudent, l’espèce de fatalité où cet homme, qui avait été « brave » chez lui et hardi à la bataille, venait de s’enfermer comme naguère en son armure que peut-être Olivier s’était appropriée. Il leur était impossible de trouver des paroles apaisantes au désarroi qui les accablait l’un et l’autre, bien qu’il ignorât, lui, son fils, en quoi consistait cette souffrance de l’âme. Se pouvait-il qu’un homme de cette bonne espèce eût vécu plus d’une décade en voyant se dégrader, corrélativement à sa santé, le caractère d’un enfant qu’il avait dû vouloir aimer comme un second fils lorsque Aliénor le lui avait présenté ? Depuis quand son rôle de parâtre avait-il cessé ? Sans doute depuis qu’Olivier s’était montré capable d’égorger une brebis.
    Tristan se leva et tapotant le plateau de la table :
    – Je reviendrai.
    Il fallait qu’il laissât Thoumelin dans l’esseulement pénible où il l’avait trouvé.
    Olivier tout à coup s’interposa entre eux comme pour rompre définitivement le lien dont il avait perçu l’existence en même temps que la ténuité.
    – J’aurais voulu vous montrer que j’étais digne d’être votre fils… Que je suis moult expert aux armes. L’an prochain, je serai aux joutes de Mazères.
    Que savait-il des armes, cet effronté qu’il eût fallu éduquer et instruire à grands coups de jouées 238 et de pied au cul ?
    Tristan laissa passer l’offense. Les batailles et les jeux en champ clos n’étaient en rien comparables à ce qu’imaginait ce guépin. Voir couler le sang de la gorge percée d’une bête et voir le cou d’un homme frappé par un perce-mailles étaient deux visions tellement différentes !
    – Le temps viendra pour toi de quitter Castelreng et de faire aussi tes preuves.
    On eût dit qu’Aliénor volait soudain au secours de son fils. Connaissait-elle ses ambitions et ses limites ? Thoumelin créa une diversion :
    – Montre à tes soudoyers où ils peuvent establer les chevaux.
    Tristan ouvrit la porte du tinel et fut tenté de désigner l’écurie à ses compères. L’ahurissement de Paindorge lui fit sentir combien son visage avait changé.
    – Je vous rejoins, dit-il.
    Se retournant, il regarda Olivier… Non, jamais il n’aurait pu engendrer ce petit malandrin dont la jactance et la férocité empoisonnaient sa conscience. Et Aliénor ?… Son pelisson franchement entrouvert laissait voir une gourgandine d’écarlate blanche qui avait dû coûter cher… Elle avait voulu devenir châtelaine. Elle y était parvenue. Elle devait commander avec rigueur les meschins et meschines de Castelreng et à la moindre faute, les châtier sévèrement pour complaire à son fils. Pour elle au

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