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Le pas d'armes de Bordeaux

Le pas d'armes de Bordeaux

Titel: Le pas d'armes de Bordeaux Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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un jour de pluie. La porte et la fenêtre étant closes, les bruits du dehors arrivaient doucement. Alors qu’il regardait la place ceinte par les couverts un cri d’enfant l’avait distrait de ses pensées alors heureuses. Aucun doute : ce cri s’était comme échappé de l’arrière-boutique. Il s’était tourné vers Aliénor et son père : «  Vous avez un enfant, messire ? Votre fille a un frère mains-né 229  ? » Aliénor avait ri : « Que vas-tu imaginer !… C’est le petit d’une voisine qui est allée à Caudeval. » Mais elle s’était précipitée dans la pièce attenante. Laurent Assalit avait fait en sorte qu’il ne l’y suivît point en lui demandant ce qu’il pensait d’une lanterne empoignée, elle aussi, avec empressement. Il y avait une gêne dans la voix de cet homme. Une gêne aussi dans celle de la femme qui, derrière l’huis clos de l’arrière-boutique, se confondait en excuses à chacun des propos acerbes de sa fille. Quant à l’enfant, il pleurait. «  Va jouer dans la cour », avait décidé Aliénor…
    Derechef, Tristan présenta ses mains aux flammes :
    – Cette cagne nous a floués, vous et moi. J’étais venu sans trop croire que je pourrais rester céans avec mes hommes. C’eût été différent si tu avais eu un second fils de ma mère.
    – Demeure si tu y tiens, dit Thoumelin d’une voix sourde, presque indistincte, mais ne t’attends pas à…
    Il s’interrompit. L’expression de son regard, la façon dont il joignait et crispait ses doigts n’étonnèrent point Tristan. Déjà, ils s’étaient tout dit et son père, en fait de paroles, savait, lui aussi, qu’ils avaient atteint la satiété.
    – Tiens, les voilà, mon fils…
    Tristan se sentit pâlir lorsqu’un jouvenceau pénétra dans la salle. Lui ressemblait-il ? Il n’avait jamais eu, autant qu’il s’en souvînt, ce visage sec et dur d’enfant monté en graine. Ainsi, à la grâce de Dieu, il avait parcouru des centaines de lieues de chemins brûlés par le gel pour découvrir un adolescent dont Aliénor avait voulu qu’il fût son fils ! Non ! Non !… Il devait impé rieusement se guérir du mésaise qui le prenait soudain devant cet intrus si sûr de lui.
    – Père-grand, dit le jouvenceau d’une voix de feutre sous laquelle perçait le chardon, j’ai ouï du bruit dans la cour avant même d’en franchir le seuil. Je me suis hâté… J’en suis tout ébahi : qui sont ces hommes ?
    Ces façons intentionnellement respectueuses sentaient l’affectation, nullement l’affection.
    Tristan ne pouvait amoindrir sa déception. Oui, c’étaient bien ses yeux, c’était bien son nez, c’était encore sa bouche qu’il retrouvait sur ce visage d’adolescent. Et c’étaient bien aussi ses cheveux de ténèbres. Il se sentait comme offensé par ces analogies. Olivier ressemblait à une approximation rajeunie de sa personne. Et lui, authentique Castelreng, ressemblait-il encore au jeune chevalier aventureux, ambitieux, avide de conquérir la renommée tant à la guerre qu’à la Cour ? Non !… Il revenait en sa maison natale les mains pleines de rien, le cœur malade et le sang glacé sans que l’hiver en fut cause. L’âge avait désépaissi ses cheveux là où il y avait imaginé des lauriers. Oui, plus d’une décennie pour se trouver devant un jouvenceau insolent, étranger aux Castelreng et qui voulait devenir… quoi ?
    Tristan ne concevait pas pourquoi Dieu ou le diable avait tenté, par le truchement d’Aliénor, de lui jouer ce tour pénible. Il éprouvait le besoin forcené, non pas d’échanger quelques mots aigres avec ce jeune goguelu, mais de disparaître sans en prononcer aucun. Comme il l’avait précisé à son père, ses amours avec Aliénor s’étaient réduites à des ébattements et vuiseuses 230 où le cœur, peu à peu, avait cessé d’intervenir. Fallait-il qu’il s’en repentît encore après si longtemps ? À cette aventure de jeunesse s’ajoutait donc, maintenant, la révélation captieuse d’un fils. Car il se trouvait en présence d’une espèce de béjaune outrecuidant qui s’estimait plein d’expérience et brûlait de le prouver fût-ce en faisant couler le sang.
    – Qui est-ce ?
    – Celui dont nous t’avons moult parlé, dit maussadement Thoumelin.
    – Mon père ?
    Un sourire où l’incrédulité le disputait à la dérision distendit la bouche d’Olivier : son père ne pouvait être pour lui

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