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Le pas d'armes de Bordeaux

Le pas d'armes de Bordeaux

Titel: Le pas d'armes de Bordeaux Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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rênes lâches, le regard flottant sur l’Aude. Les chevaux et les mules suivaient, paisibles.
    Le chemin s’encaissa dans des montagnes tantôt pâles, tantôt rouges où quelques arbrisseaux semblaient pousser sous la houlette de gros chênes insensibles à la froidure. On n’entendait que l’eau dont les flots ensauvagés se brisaient contre des rochers énormes.
    Le monastère et la cathédrale d’Alet étaient situés dans une courte plaine au bord du fleuve. Ce site idéal était constitué par un petit bassin que l’Aude, issue des Pyrénées toutes proches, avait creusé du sud au nord entre deux gorges. C’était un havre de terre et d’eau que cette cité, une tache verdoyante dont les tons variés s’éployaient sur le fond rougeâtre des collines de grès toutes proches. La cathédrale inachevée se dressait au-dessus d’une haute et double enceinte de pierres tachetées çà et là d’un soupçon de verdure.
    – Il y a des sources : une aïgo, comme on dit ici, qui guérit tous les maux de ventre. Je me contenterai de quelques gouttes d’eau bénite.
    – Je préférerais, messire, une bonne chopine d’hypocras !
    – Patiente, Lebaudy, ça viendra.
    Ils franchirent un pont dont une pile prenait appui à la pointe d’un îlot. Les eaux en recouvraient partiellement les broussailles. Ils s’inclinèrent sous une voûte et s’engagèrent dans une ruelle au bout de laquelle l’abbatiale dressait son corps puissant tout en grès ocre jaune, entouré d’un peuple de maçons et de tailleurs de pierre.
    – On l’agrandit… Elle n’était donc pas assez belle ?
    Tristan mit pied à terre, confia Malaquin et Alcazar à Paindorge et s’en alla vers les manœuvres assemblés sur le parvis dans l’intention – s’il était présent -, d’obtenir une brève au dience de l’évêque Guillaume II 241 ami de son père, et de requérir son aide.
    – Messire ! s’étonna un homme qui semblait affecté à la surveillance du chantier. Vous n’êtes point d’ici, cela se voit !… Monseigneur Guillaume est mort depuis huit ans. Son successeur Arnaud de Villar 242 est parti pour quelques jours à Carcassonne.
    Tristan franchit le seuil. Il eut devant lui, tel un œil immense, la grande rosace du chœur au-dessus de l’abside dont on disait qu’elle était romaine. Quoique exposée à la poudre des pierres, l’eau du bénitier scintillait. Il se signa et avança sous les grandes arches ombreuses, dans le feuillage satiné des piliers dont le splendide et robuste essor semblait vouloir transfuser sa force aux croyants agenouillés là : deux clercs, deux femmes, un homme.
    Il avançait sans s’occuper de rien, sans jeter un regard de côté, sachant que du haut des murs et des colonnes éléphantiasiques, des créatures et des animaux parfois étranges l’observaient de leurs yeux exorbités tandis que résonnaient, outre des coups de marteau, les voix et les appels des bâtisseurs. En dépit de ces bruits la paix régnait entre les hauts murs prodigieux : une paix imposée par un Christ de bois peint, grandeur humaine, ni pâle ni émacié comme tant d’autres. Des cierges clignotaient dans la lumière vibrante des vitraux, et des chandelles de toutes tailles, dressées sur leurs bobèches, semblaient de gros hérissons de feu à l’affût dans l’ombre des chapelles.
    Il renonça à s’agenouiller. Crochetant ses mains à sa ceinture d’armes, il considéra le visage du Crucifié comme il eût regardé un homme en parfaite santé doublé d’un guerrier capable de le comprendre.
    – Seigneur, dit-il à mi-voix, je ne suis plus qu’un chevalier d’aventure sans argent et sans devenir, sans demeure et sans amour. J’ai décidé d’aller à Peyrepertuse avec mes hommes. Si l’on nous y accepte, j’attendrai, le temps qu’il vous semblera bon, le trépas de mon père… Mais que ferai-je ensuite ? Ne se rait-ce pas une couardise éhontée que de renoncer à mes droits sur Castelreng ?… Cette femme et son fils sont de néfastes créatures. Vous n’en ignorez rien… Aidez-moi pour l’année qui vient ou pour l’autre !… J’obéirai à Votre volonté…
    Il se signa et partit sans se retourner, convaincu qu’il avait exprimé un souhait inutile. Sur le seuil, il vit Paindorge et Lemosquet. Avaient-ils prié, eux aussi ? Et pour demander quoi ?
    – Venez, dit-il. Que Notre Seigneur nous bénisse.
    Ils cheminèrent en silence le long de l’Aude, puis

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