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Le pas d'armes de Bordeaux

Le pas d'armes de Bordeaux

Titel: Le pas d'armes de Bordeaux Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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d’armes et de nourriture. Simon n’en fit qu’une bouchée.
    Maintenant, ils découvraient les hautes murailles dépourvues du moindre guetteur, les tours nombreuses, ouvertes ou non à la gorge, les châtelets intérieurs, les maisons, granges, écuries ; la chapelle grande comme une église et l’église trapue comme un petit donjon. Il y avait, sur un espace montueux de cent cinquante toises de long et trente de large, deux forteresses accouplées en une seule, l’une dominant l’autre du haut d’un pic rocheux. Dans l’aire séparative, quatre soudoyers emmitouflés dans des peaux de bêtes dépeçaient un bœuf égorgé depuis peu. Au-delà, quelque part, une meute aboya.
    – Toujours du sang, grommela Tristan. Et les chiens qui le flairent.
    Plutôt que d’inspirer du bien-être et de la quiétude, Peyrepertuse exsudait de la tristesse et de l’anxiété. Il semblait qu’à y vivre en permanence, on pouvait mourir d’inanition et d’épuisement si l’eau et la viande venaient à manquer. On pouvait aussi mourir d’ennui. La tramontane soufflait par bouffées inégales, furibondes. Elles remplissaient l’enceinte de gémissements, courbant quelques arbrisseaux et flagellant les hommes.
    – Messire, dit Paindorge, je ne vivrai pas longtemps dans ces murs. J’y suis comme emmaladi sans savoir de quoi.
    Tristan partageait le mésaise de son écuyer. Cependant, il fallait vivre : manger, dormir au chaud, s’employer à quelque tâche en attendant le printemps.
    Un homme s’approchait. Sans doute quelque capitaine : un paletoc de peaux de lynx le couvrait du col jusqu’aux chevilles. C’était, tête nue, un barbu dont les yeux pleuraient à force d’être livrés au vent.
    – Holà ! Que voulez-vous ?
    – Quelques jours de repos.
    – Les cités ne peuvent donc vous en fournir ?… D’où venez-vous ?
    – De Normandie.
    – C’est loin.
    – Hé oui ! fit Lebaudy. Besoin de soudoyers ?
    – Nous sommes vingt. Nous en attendons quelques autres.
    Tristan tressaillit : loin, derrière les dépeceurs, une femme venait d’apparaître.
    « Qui est-ce ? Elle sort de l’église Sainte-Marie et tient un enfant par la main. Il n’a pas trois ans… »
    Paindorge le toucha du coude et sa voix fut un murmure :
    – Je n’ai fait que l’entrevoir à l’Alcâzar de Tolède, mais je jurerais que c’est elle.
    Tristan comprit et acquiesça. Voulant une confirmation, il se pencha vers le capitaine :
    – Qui est cette dame ?
    Le Barbu sourcilla et tourna le dos à une nouvelle bourrasque comme pour être certain que sa réponse s’éparpillerait dans les nues.
    – On l’appelle la dame de Soria. Elle est céans avec quelques autres. C’est la dame d’honneur de dona Juana, l’épouse du Trastamare.
    – Cet enfant est le fils de Guesclin.
    Cette affirmation n’ébahit guère le capitaine. Il appuya des deux mains sur ses cheveux rares que le vent ébouriffait :
    – Guesclin lui en a fait deux. Le mains-né est encore au berceau… Et pour vous dire le vrai : ces hommes qu’on attend chaque jour que Dieu fait, c’est messire Bertrand et ses fidèles. Il accourt à Peyrepertuse chaque fois qu’il le peut.
    Tristan et ses compagnons s’entre-regardèrent.
    – On dit, continua le Barbu, qu’il a l’intention de revenir en Espagne avec cette gentilfame. On leur a fait une chambre pour qu’ils soient à l’aise… Pendant qu’ils forniquent, les enfants sont gardés par des femmes…
    – Tiphaine Raguenel est cocue… Bien cocue !
    C’était, de la part de Tristan, une constatation sans méchanceté. On avait tant célébré en leur temps ces amours incomparables : le mariage d’un dogue et d’une colombe, l’alliance d’un huron et d’une damoiselle pleine de clergie qui peut-être, à trop regarder les étoiles, n’avait pas vu quel homme elle prenait pour époux. Ah ! Oui, le prêtre avant de bénir leur alliance eût été bien inspiré de s’exclamer : «  Neque mittatis Margaritas ante porcos 246  ! » Or, c’était la douce Tiphaine, en quête de macérations, qui avait voulu le malgracieux dans son lit.
    –  Puisque Guesclin doit venir céans, nous n’y pouvons demeurer.
    – Êtes-vous ennemis, messire ?
    Tristan s’inclina pour cette appellation en forme de compliment.
    – Nous avons guerroyé avec lui en Espagne et n’avons point envie de le revoir.
    Trois grognements approbateurs confirmèrent au Barbu un mépris

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