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Le pas d'armes de Bordeaux

Le pas d'armes de Bordeaux

Titel: Le pas d'armes de Bordeaux Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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C’était une vision d’une redoutable magnificence, une splendeur de la nature, l’image démesurée d’une aire à la mesure d’une assemblée d’hommes solides et ambitieux, une sorte de défi pétrifié à toutes les armées de la terre. Douce en bas, la tramontane soufflait, soufflait encore, de plus en plus criarde, de plus en plus acharnée, comme pour précipiter, avec les vastes parois de pierre, les importuns dans les friches d’en dessous, si lointaines qu’une maison – la seule en ce lieu – n’était pas plus grosse qu’une noisette.
    – Il y a une autre voie, dit Tristan. Un escalier en limaçon taillé dans la roche. Bien sûr, nous n’y passerons pas, mais nous allons mettre pied à terre : si nos mules sont à l’aise, nos chevaux rechignent.
    – Vous connaissez les lieux, dit Paindorge.
    – Quand mon père était l’homme dont j’aime à me mémorer le vasselage 245 nous y sommes venus parfois.
    Quelque vive que fut sa volonté d’y parvenir, il ne put extirper de son esprit l’image d’un chevalier rieur, fier de lui-même, de son épouse et de son gars. Un prud’homme qui savait ce qu’il voulait et l’obtenait. Un jouteur qui ne houssait jamais son destrier afin qu’on admirât leurs courses et dont le heaume était sommé d’une tour d’argent pareille à celle qu’il avait vue, lui, son fils, sur le bassinet de Manrique de Lara… À Tolède ? Burgos ? Séville ? Lors de la montre d’El encinar de Banares ? Ce heaume précieux qu’était-il devenu ? Olivier l’avait-il coiffé sans souci de commettre une irrévérence ?
    Malaquin trébucha. Tristan réintégra ce dernier jour de février composé d’incertitude et de froidure. Il tint son cheval au frein, incita Alcazar à le suivre de près et enjoignit à ses hommes de veiller sur les montures et les mules car le sentier contournait un abîme où le moindre faux pas les eût précipitées.
    – Je sais, mes gars, que vos jarrets sont lourds et douloureux !… Encore un quart de lieue et nous serons rendus !
    Le chemin redevint pierreux et monta plus fort. Il traversa des terrains stériles où çà et là subsistait un reste d’eau poissée de neige. Au-dessus, quelques corbeaux tournoyaient en grands cercles, planant parfois pour mieux jeter leur cri avant de disparaître, poussés par des bourrasques acerbes. Puis le sol résonna sous les sabots. Des filets d’eau le traversèrent. Les herbes incrustées dans quelques replis terreux devinrent pâles, chétives.
    – Reposons-nous un peu, dit Tristan.
    Ils s’immobilisèrent. La tête à proximité des nuages, ils dominaient le pays, ses monts crépus, ses rochers pareils à des ossements immenses, ses gorges ténébreuses et les terres planes, tantôt brunes, tantôt rouges, que l’on devinait couvertes d’une herbe dure, épineuse. Tels des dieux, ils étaient maîtres de cette nature d’où l’hiver allait se retirer. Ils dispensaient sur la terre cette lumière à la fois éclatante et douce qui enveloppait dans ses brumes les plis et les replis des gouffres au-dessus desquels les murailles, enfin, se montraient presque tout entières.
    – Repartons… Nos chevaux détestent cette montagne.
    Ils franchirent enfin le premier seuil de la forteresse. Un archer les salua sans rien leur demander.
    Il y avait, au-dessus de la clé de voûte de la seconde entrée, une figure de pierre qui pouvait être celle d’une femme en cheveux ou d’un guerrier imberbe coiffé d’une cervelière. Tristan ramassa une pierre et la jeta sur cette face aux yeux plats, aux lèvres boudeuses.
    – Holà ! s’écria Paindorge. Est-ce une bonne façon de s’annoncer ?
    – Cette tête porte malheur si on la respecte. On conjure ainsi tout le mal qu’elle dispense. Faites-en autant.
    Il fut imité. Alors, se retournant encore :
    – Vous pourrez dès ce soir vous purifier l’âme : Peyrepertuse a une église et une chapelle.
    Tandis qu’il s’engageait sous l’arche aux voussoirs gravés d’initiales et de dessins hardis, Lemosquet observa qu’un château ainsi perché ne pouvait être conquis.
    – Détrompe-toi… Simon de Montfort l’a pris en deux jours (412) .
    –  Impossible !
    – Hélas ! si… La jactance du seigneur Guillaume et sa sottise furent pour lui des ennemis plus puissants que Montfort et ses croisés. Bien que la guerre eût été commencée depuis longtemps, il n’avait pas cru devoir faire des provisions

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