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Le pas d'armes de Bordeaux

Le pas d'armes de Bordeaux

Titel: Le pas d'armes de Bordeaux Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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aboutissants.
    – J’aurais aimé vous connaître…
    – Ailleurs ? En d’autres temps ?
    Il acquiesça. Les hommes se mouvaient autour d’eux et il semblait que l’antichambre s’emplissait toujours. Certaines dames jouaient des cils et des hanches. Une impression de frisqueté (357) , de langueur, de bien-être se dégageait de cette foule qui ne se clairsemait que loin de la princesse. C’était, sous les voûtes dorées, une rumeur soyeuse comme les robes des gentilfames, une animation contenue quoique incessante où l’on échangeait des œillades, salutations, sourires, compliments. Chaque fois qu’un visiteur ou une visiteuse apparaissait, il y avait toujours quelques hommes prompts à l’accueillir, et Guichard d’Angle et Chandos n’étaient pas les moins actifs dans la réception et la congratulation de ces privilégiés qu’un sourire du prince ou de son épouse comblerait d’aise. Leur nom était lancé par le héraut avec une telle emphase que toutes les têtes se tournaient vers le seuil et l’on scrutait cette nouvelle survenue. Si c’était un homme, il provoquait un examen bref, condescendant. Si c’était une femme, elle avançait dans un couloir de regards et de murmures, suscitant des courbettes, des gracieusetés, des exclamations savamment étouffées. On supputait le prix de son frontal, de ses pentacols, des anneaux dont ses doigts enrichissaient les gestes. L’austère Charles V eût réprouvé cet étalage de richesses ; hypocritement car elles l’eussent fait rêver : auri sacra fames (358) eût-il pensé, mais sa langue eût passé sur ses lèvres gourmandes.
    – Venez-vous au palais chaque jour ?
    Tancrède sourit et fut sincère :
    – Je meurs d’ennui céans… Non, j’ai mieux à faire. Je me couche tard et dors longtemps. Souvent, j’enfourche mon cheval. Je n’aime point les haquenées, sauf une que j’ai perdue… Trop douces… Nous courons John et moi les prés et boqueteaux. John est mon coursier.
    Puis, comme Tristan sourcillait :
    – Que vous prend-il, messire ?
    – J’ai omis de vous dire que j’ai vu votre sœur lorsque l’armée du Trastamare a fait halte à Tolède.
    – Claresme !
    Elle écarquillait les yeux. Elle souriait comme soulagée d’un fardeau léger mais tenace. Elle porta sa dextre à son front sous lequel passaient des images sans doute décolorées. Son escoffion en fut imperceptiblement relevé. Tristan vit une oreille petite et charnue que les cheveux recouvraient habilement de façon à n’en plus laisser paraître que le lobe et l’ourlet extérieur, d’un rose de dragée.
    – Je pense fréquemment à Claresme. Est-elle en bonne santé ?
    – Elle l’est.
    – Heureuse ?
    –  À ce qu’il m’a semblé, son époux est un homme bon.
    – Des enfants ?
    – Une fille : Cristina.
    – Mariée ?
    – Non. Elle veut se faire nonne.
    Un éclair des grands yeux bleu-mauve. Tristan se sentit jugé puis, dans un rire, accepté pour confident.
    – Cette donzelle est folle !
    – C’est bien ce que je me suis dit car elle est fort belle, avenante, et ne doit pas manquer…
    – … d’occasions ? suggéra Tancrède.
    Il avait pensé « d’amoureux » or, l’amour pour cette créature n’était point celui que l’on avoue tête-à-tête d’autant plus difficilement qu’il est fort. Le charnel, pour elle, suppléait la raison et le cœur ; la volupté l’emportait sur les sentiments et la satiété sur la plénitude. Le drapé de sa robe et sa simple mais riche ceinture d’or donnaient à ce corps à demi divulgué un harmonieux et expressif accompagnement de ses formes naturelles sans pourtant les révéler toutes. La souplesse de l’étoffe communiquée à la chair d’une densité d’ambre clair par un maniement aisé des ciseaux, laissait Tristan perplexe. Quant à la gaieté légère qui semblait frémir sur tout l’épiderme de Tancrède comme elle frémissait sur sa bouche, elle semblait dénoncer non point l’appétit de vivre et d’exciter la convoitise, mais un enjouement, un besoin de se sentir à l’aise sous sa robe, sous sa peau et sous l’affectation d’une sorte d’innocence.
    – Pourquoi me regardez-vous ainsi ?
    – Puis-je vraiment vous le dire ?
    – Évidemment !
    Elle le savait mais voulait qu’il s’exprimât sans ambages.
    – Vous êtes belle.
    – Ah ! fit-elle avec un soupir qui se voulait émerveillé mais dont il perçut la feintise.

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