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Le pas d'armes de Bordeaux

Le pas d'armes de Bordeaux

Titel: Le pas d'armes de Bordeaux Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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sur le champ clos ?
    Ainsi, elle le connaissait (359) . Qui ne connaissait-elle à Bordeaux ? Elle avait dû paraître dans toutes les liesses, festins et jeux du champ clos. Sans doute y avait-elle asservi quelques cœurs tandis que le sien refusait d’être conquis. Sans doute, aussi, n’avait-elle jamais eu de sa vie un soutien, un guide, un conseiller ou une conseillère. Il paraissait évident qu’en dehors des doucereuses simagrées auxquelles elle condescendait en la Cour ducale, sa nature tenait à la fois du lis et du chardon. Ses plaisances sinon ses joies, elle les avait puisées dans l’aventure sous toutes ses occasions et sous tous ses aspects.
    « Quel fut le premier complément de sa vie ? » se demanda Tristan. « Ogier d’Argouges lors de leur jeunesse ? Aimés de cœur et non de corps puisqu’ils étaient cousins ? »
    Il se plut à se les représenter sages, bien qu’il les imaginât comme des adolescents à la fois turbulents et songeurs, passionnés d’exercices physiques, épris de chevauchées où leurs orgueils s’embrasaient sans jamais enflammer leurs cœurs. Mais peut-être se méprenait-il.
    – Je pars demain pour la Bretagne, confia Northbury à Tancrède.
    – Une belle vous y attend ?
    L’écuyer eut un rire où, sous la bonne humeur, perçait la malaisance.
    – Une belle ?… En Bretagne ! Mais, mon cœur, comment pourrais-je m’éprendre d’une femme alors que vous existez ?
    Une œillade de Tancrède parut signifier : « Un de plus, Tristan, et je l’ignorais. » Avec une avidité d’affamé, Northbury baisa la main offerte. Il disparut dans la cohue des courtisans après avoir lancé au Franklin plus chanceux, apparemment, qu’il ne l’était, un regard d’envie et de haine.
    – L’embarras du choix, murmura Tancrède.
    Le ton bas, désabusé, semblait sincère. Après avoir épuisé les bienfaits d’un amour, la rupture, toujours décidée par elle, devait se singulariser par une absence complète de charité assortie d’un manque non moins complet de regret.
    – À quoi penses-tu, chevalier ?
    Ils étaient seuls, donc elle le tutoyait. Tristan exprima son opinion sans ambages :
    – Le cœur d’Ogier s’aggravait 53 sitôt qu’il parlait de vous. Je me dis maintenant que, sans se l’avouer, il a toujours souhaité une compagne à votre semblance.
    – Crois-tu ? demanda Tancrède violemment.
    – Une femme qui eût été comme le miroir de sa passion pour elle. Une alliée dont la présence ou simplement la voix eût affermi sa vigueur, sa confiance et son courage lorsqu’il en aurait craint l’amoindrissement ou la privation. Toute autre créature que celle qui figurait dans ses songes provoquait dans son esprit, je crois, des doutes bien plus puissants que la jubilation née des amours les plus extrêmes comme les plus ordinaires… Or, il connut Blandine et fut comme aveuglé.
    Tancrède ne souriait plus. Quelque chose – une blessure – suppurait en elle. Ses mains s’étaient jointes ; des mains nues aux doigts d’albâtre.
    – Continuez, dit-elle, oubliant le tutoiement.
    Tristan, maussade, obtempéra :
    – Quand Blandine a voulu lui imposer sa loi, Ogier s’est aperçu combien il avait déjà compromis l’aisance de ses mouvements ; combien, peu à peu, il avait restreint, affadi, affaibli, falsifié ses pensées pour complaire à son épouse.
    – Il s’est dit que le sacrifice de sa liberté avait suffisamment duré ?
    – Oui, belle dame. À Chauvigny, Blandine lui avait semblé un joyau de grand prix…
    – Et il s’est aperçu que, vue de près, elle n’étincelait plus !
    Tancrède semblait affectée par cette erreur d’examen, ce caprice de la vue qui, d’un simple caillou, avait fait une perle. Tristan n’osa contester cette opinion bien qu’elle dénaturât un sentiment dont il refusait l’analyse. Le cœur dolent, assombri par une mort dont il conservait le secret 54 , Ogier avait cédé à l’attrait de la lumière en croyant qu’elle le conduirait vers le sommet de son état. Il avait cru au pur règne de la beauté. Illusion de l’âme et des sens : il s’était hardiment fourvoyé dans le mariage.
    – Il ne méritait pas cette déception.
    – Certes !… Il me l’a confié : lorsqu’il est parti rejoindre l’ost en marche vers Calais, il était presque heureux… en tout cas soulagé de quitter Gratot. Que valait une femme, sa femme, en comparaison de

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