Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Le pas d'armes de Bordeaux

Le pas d'armes de Bordeaux

Titel: Le pas d'armes de Bordeaux Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
Vom Netzwerk:
femmes !
    Qu’il eût prononcé de telles paroles non par présomption mais avec l’intime conviction que Bordeaux serait la première cité d’Occident et qu’il eût devancé le jugement de l’Histoire ne manquait pas d’étonner Tristan. Toutefois, une guerre pouvait anéantir ce grand dessein. Une guerre avec des hommes, certes, mais aussi avec ces gros engins de mort qu’étaient les bombardes. Les palais les plus magnifiques connaîtraient le sort des masures. La cité lapidée ressemblerait à ces villes, ces villages que le prince avait détruits en Langue d’Oc et ailleurs sans que la nécessité s’en fut imposée.
    – Je veux vous voir, messire, absolument. Oyez : absolument !
    Tristan s’inclina le cœur enflé d’une espérance aussi déraisonnable que celle de ce fils de roi qui se prenait peut-être pour Alexandre, lequel n’était pas gros mais grand.
    – Monseigneur, je ne suis ni sourd ni couard. Je serai sur la lice prêt au meilleur comme au pire. Nous partagerons la même attayne 43  : vous sur votre échafaud 44 et moi sur mon cheval.
    C’était une offense enchâssée de moquerie, toutefois, dans l’état de jubilation où il se trouvait, le prince n’y prit point garde.
    – Et si j’en sors vivant, monseigneur ?
    Tristan ne souriait plus. Il regardait sereinement, devant lui, cet homme dont les gibbosités du menton, pour une fois tendues par le cou porté en avant, formaient une espèce de goitre. « On dirai qu’il conserve là-dedans quelques pièces d’or en réserve ! » Le prince les déglutit :
    – Par saint Georges et devant témoin – Calveley -si vous demeurez sain et sauf, je vous fournirai un sauf-conduit pour que vous quittiez Bordeaux le soir même et qu’aucun Anglais ne vous préjudicie sur les chemins qui seront vôtres.
    Malgré la courtoisie du ton, l’aversion était flagrante. Tristan frémit. « Il ne me laissera pas partir aisément ! » Édouard, fils d’un roi autoritaire et sanguinaire au besoin, le dévisageait de ses yeux de lynx. Peut-être cherchait-il le fer pour le contraindre à un excès de langage assorti d’un châtiment pire qu’une entrée en lice pour une joute et un pas d’armes plus dangereux que d’aucuns. Il trouva enfin la diversion qui s’imposait :
    – Guesclin en sera-t-il ?
    – Non.
    Évidemment, le prince craignait que le Breton lui tuât quelques chevaliers ou ne fût malencontreusement occis par l’un d’eux, le privant ainsi d’une rançon copieuse.
    – Connaissant Hugh Calveley, je sais que vous avez conservé votre épée. Votre armure vous sera rendue. Celle de votre écuyer également. Car il vous soutiendra au pas d’armes.
    – Monseigneur, il fut navré à Nâjera et sa cicatrice…
    – Il vous soutiendra !
    C’était une injonction violente, irrésistible. Comme le prince s’enquérait auprès de Calveley de l’état de quelques-uns de ses prud’hommes malades ou blessés, eux aussi, en Espagne, Tristan embrassa d’un regard connaisseur les hauts sièges ouvragés et les dressoirs dont les panneaux en bas-relief représentaient des scènes de chevalerie, le gros bahut de cuir noir marouflé, chargé de pentures de fer comme un captif l’eût été de chaînes, la crédence sur le dessus de laquelle reposaient trois coiffes de fer : un heaume et deux barbutes. Tous portaient le cimier du prince : un lion d’or couronné portant au cou un lambel à trois pans. Il y avait aussi, près d’une étroite fenêtre, une table soutenant des vaisselles, des aiguières et des hanaps d’or et d’argent et dans un angle, sous un dais azuré semé de fleurs de lis, une cotte d’armes surmontée d’un bassinet à bec de passereau. Assurément ceux du roi Jean II qu’un écuyer, après Poitiers, avait portés en Angleterre, devant le roi Édouard, comme preuve de victoire 45 . Le prince ne devait point s’en séparer. C’étaient à la fois les témoins d’une bataille où mieux encore qu’à Crécy il avait su prouver son génie militaire et, bien qu’énormes, les phylactères qui lui garantissaient de prochains succès.
    – Vous pouvez disposer… Dieu vous garde… À dimanche.
    Tristan s’inclina. Le prince se tourna vers Calveley, se leva et le rejoignit d’une démarche lourde bien qu’il fît des efforts puissants pour paraître à l’aise dans ses membres bouffis. Ils se mirent à paroler en anglais d’une façon tantôt vive, tantôt pondérée. Ces

Weitere Kostenlose Bücher