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Le pas d'armes de Bordeaux

Le pas d'armes de Bordeaux

Titel: Le pas d'armes de Bordeaux Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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ignoble en Langue d’Oc. Parti de Bordeaux 37 et passant près de Castelreng, il avait renoncé à assiéger Carcassonne. Cinq cents petites cités et villages avaient été réduits en cendres. Ce forcené impitoyable s’était manifesté comme l’émule de Simon de Montfort. Après avoir fait trembler le Pape en Avignon – tout comme Guesclin -, il était revenu dans son aire chargé d’un butin grandiose. Il n’était ni un prince ni un potentat dont les liesses et les dépenses n’avaient jamais cessé d’ébahir ses hommes liges et ses armées anglaises et gasconnes, mais un satrape aussi gonflé d’orgueil que sa figure et ses mains brunies, alourdies de chiragre 38 . Il entretenait une centaine de chevaliers, autant d’écuyers, autant de pennonciers, des musiciens innombrables et une compagnie de trouvères. Calveley réprouvait non seulement la prodigalité du prince mais aussi son humeur changeante. Tantôt renfrogné, tantôt livré à des félonies (355) terribles, il s’empiffrait d’interminables plaisances en compagnie de ses favoris (356) et favorites puisqu’il se trouvait des femmes disposées à les rehausser de leur présence.
    Se pouvait-il que Tancrède en fît partie ? Elle pouvait éprouver toutes les tentations, accepter, pour son agrément, toutes les sujétions sauf une souillure lors d’une orgie !… Et si cet homme dépravé aimait la volupté, même en l’état répugnant où la nature, fille de Dieu, l’avait patiemment modelé, il ne ressentait de vraie jouissance que sous les plis de ses bannières. Il fallait lui accorder cette justice qu’il aimait la guerre et l’avait une fois de plus honorée à sa manière dans la plaine de Nâjera.
    Édouard était vêtu d’un flotternel de satin bleu turquin doublé de taphetas rouge dont les coutures semblaient sur le point de se rompre. Des hauts-de-chausses et bas-de-chausses gris révélaient des cuisses taurines. Un toquet de velours noir dissimulait une calvitie dont sans doute il avait honte : il devait souvente-fois regretter le camail de mailles et la cale qui le protégeait de la rudesse des anneaux.
    – Vous, les chevaliers de France, vous êtes sans valeur. Nous vous l’avons prouvé à moult reprises.
    Il se laissa choir sur son siège et remua entre les accoudoirs comme un cheval de trait entre des limons trop étroits.
    – Êtes-vous revenu chez-vous satisfait après votre fuite de Cobham ?
    – Non, monseigneur. Vous n’êtes pas sans savoir que vos gens ont tué la plupart de mes hommes. Seul mon écuyer a survécu.
    – Et Luciane, cette petite que mon épouse avait en affection ?
    Bien que subjugué par la belle Jeanne de Kent, Édouard avait-il été tenté par celle que la princesse appelait sa house maid ?
    –  J’ai épousé Luciane. En vérité ne vous l’ai-je point dit après Nâjera ? Elle est la fille d’un noble chevalier, Ogier d’Argouges, trépassé en Espagne.
    – Ce nom-là ne m’est pas indifférent. Un Ogier d’Argouges s’est conduit baudement 40 aux joutes d’Ashby, il y a par ma foi, longtemps. Dernièrement, à ma table, auprès de mon épouse, se tenait la belle Tancrède… N’est-elle pas la cousine de ce défunt chevalier ?
    Il posait une question dont il connaissait la réponse.
    – Mon beau-père, monseigneur, de son vivant, m’entretint parfois de cette cousine qui justement, après les joutes d’Ashby, avait disparu de sa vie. Je viens de lui être présenté puisqu’elle est dans votre vestible 41 en compagnie de la princesse Jeanne.
    Le prince recouvra soudain sa bonne humeur :
    – Il me faut les conjouir pour traiter des apprêts de ces plaideries… Joutes de guerre, messires, adoncques sans lances mornées !
    « C’est ta chair qui est mornée », songea Tristan.
    – Vous vous devrez d’y participer, vous, le François. Je veux vous voir en lice… Je veux vous voir également au pas d’armes… si vous vivez encore.
    Tristan s’inclina. Il vivrait, ne fut-ce que pour décevoir et courroucer ce ventru et tous ceux qui, faussement sans doute, l’adulaient même hors de sa présence.
    – Bordeaux, dimanche, sera en fête… Une liesse comme mon cousin Charles n’oserait en imaginer une… Notre cité, chevalier, est la plus belle de toutes. Nous serons dans les temps futurs, comme nous le sommes maintenant, l’objet de l’admiration de nos ennemis !… Ils nous envieront nos déduits 42 , notre armée, nos maisons et nos

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