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Le pas d'armes de Bordeaux

Le pas d'armes de Bordeaux

Titel: Le pas d'armes de Bordeaux Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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galope pas : il vole.
    – J’ai eu naguère une jument blanche : Roxelane.
    Ce souvenir parut émouvoir Tancrède. Elle révéla que depuis quelque temps elle avait modifié le train de ses habitudes en même temps que ses inclinations. Elle avait augmenté ses chevauchées. Seule. Elle évitait autant que faire se pouvait les plaisirs dont ses amis et amies ne se rassasieraient jamais.
    –  Songez, dit-elle, que la suite du prince se compose de vingt-huit chevaliers, soixante-quatorze écuyers, sans compter les bateleurs, ménestrels, astronomiens… Et la suite de Jeanne est d’au moins cent dames…
    – Dont vous êtes la perle. Et je pourrais ajouter…
    – Quoi ? N’ayez crainte…
    Le sourire était doux, le regard exigeant. Tristan n’hésita plus :
    – Je pourrais dire : margaritas ante porcos.
    –  Avez-vous ouï cette phrase en Espagne. Quelle en est la signification ?
    – C’est du latin, noble dame. Cela veut dire qu’il ne faut pas jeter les perles à des pourceaux.
    Tancrède acquiesça. Il fut tout à coup certain que lancée dans un tournoiement de plaisirs souvent impurs, il lui advenait de se demander ce qui l’attendait si elle n’éteignait pas cette flamme dévorante dont elle éprouvait les premières véritables brûlures : celles d’une consomption tenace, inexorable. Soudain, touchant ses joues un peu creuses, elle avoua :
    – Il me faut quitter Bordeaux… Délaisser ces hommes qui sont là et ceux qui sont ailleurs… M’éloigner ce prince qui n’est plus qu’une futaille dont la vue… et abandonner Jeanne…
    Elle s’interrompit et dans un souffle bref :
    – Aide-moi.
    Ce tutoiement inattendu – qu’il eût accepté d’une fille follieuse – ébranla Tristan comme un coup à l’épigastre.
    – Je veux les quitter avant qu’il ne soit trop tard… Il faut que tu m’y aides. Après les joutes et le pas d’armes, un régal magnifique sera donné par Édouard et Jeanne… Je te rejoindrai. Nous fuirons droit sur le Pierregord.
    – Pourquoi fuir ? Si je sors vainqueur du champ clos, je serai libre.
    Les yeux cillèrent mauvaisement. La voix paisible s’abandonna à la rigueur :
    – Libre de cheminer deux ou trois lieues et de tomber dans une embûche. Je connais bien le prince. Je sais qu’il te hait, et elle aussi, depuis Cobham.
    – Je vous concède que…
    – Je veux revoir Rechignac… au besoin le reconquérir. Si Ogier était à ta place, il n’hésiterait point.
    Elle semblait soudain lasse et désabusée. Elle effleura de ses doigts aux ongles pointus les mains que Tristan avait crochetées de part et d’autre de sa boucle de ceinture.
    – Nous en reparlerons… Hugh nous rejoint. Il ne faut pas qu’il sache. Ni qu’il devine… Je t’aime bien.
    L’ombre de Calveley les enveloppa.
    – Édouard frétille, annonça le géant, parce qu’il ne connaît pas ta bachelerie 52 . Si tu es le meilleur ou parmi les meilleurs, tu seras de nouveau maître de ton destin.
    Tristan vit scintiller le regard de Tancrède. Étaient-ce des larmes qui le rendaient si pur, si lumineux ? Tout à coup, elle semblait renoncer aux moyens les plus efficaces de plaire, aux effets de paupières, aux sourires tendres et ambigus. Par principe et non par certitude, Tristan se crut obligé de la rassurer.
    – Je serai le meilleur. Saint Michel m’aidera au détriment de Saint Georges.
    Quelqu’un ricana dans son dos. Il fit front.
    – Vous me semblez bien présomptueux, messire, dit Northbury d’une voix dolente en désaccord avec le reste de sa personne composée, précisément, de présomption et d’acerbité.
    Le chevaucheur de Nâjera se posait en vainqueur. Tristan devina qu’il avait, très jeune, poussé à la diable, et le fait qu’il l’eût agressé par quelques mots dont l’âpreté ne l’ébahissait point révélait la suffisance de ce caractère si particulier aux Goddons : même en-deçà et au-delà de la guerre, ils s’estimaient les meilleurs.
    – Je vous laisse, dit Calveley. Je dois demander un service à Chandos. Ne vous entre-tuez pas, vous deux, en mon absence… Apaisez-les, n’est-ce pas, m’amie ?
    Tancrède acquiesça. Tandis que le géant s’éloignait, elle s’enquit d’une voix melliflue en considérant le chaperon vert, informe, le pourpoint gris, noirci de sueur aux aisselles, et la dague à rouelle branlante à la ceinture dans un étui de cuir noir :
    – Vous verrai-je adoubé, John,

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