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Le pas d'armes de Bordeaux

Le pas d'armes de Bordeaux

Titel: Le pas d'armes de Bordeaux Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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procession. Ils précédaient une cohorte d’écuyers, de hérauts, juges, échevins, ménestrels, puis le mayeur de Bordeaux, tous montés. Ensuite marchaient cent piétons – archers, arbalétriers, picquenaires – qui s’étaient distingués à Nâjera. Ils devançaient « le gros du cortège » qui pour une fois, selon Paindorge, était incarné par un seul homme : le prince d’Aquitaine, seul, assis sur un palefroi houssé d’azur et de pourpre, aussi doux qu’un mouton, plus robuste qu’un bœuf.
    Il avait renoncé au port de l’armure : elle l’eût trop comprimé. La chaleur qui, depuis le matin, accablait et moitissait Bordeaux et les Bordelais sans qu’aucun d’eux ne s’en plaignît, l’avait incité à porter un flotternel à ses armes composées de lis et de léopards sur lesquels le lambel d’argent à trois pendants tombait comme une herse. Un chaperon vermeil à cornette d’azur, enfoncé de guingois des sourcils aux oreilles, dissimulait sa calvitie, et pour être à son aise, il avait renoncé au port des gants. Ses gros doigts scintillaient des joyaux qu’il y avait enfilés, du pouce à l’auriculaire de chaque main, sans vergogne.
    Derrière ce proconsul qui se voulait superbe mais dont la présence volumineuse incitait à l’irrévérence plutôt qu’à l’admiration ou au respect, Tristan avait vu s’assembler, sur des palefrois houssés à leurs couleurs, la centurie des grands hommes liges, les thanes (365) chacun hourdé 88 d’un écuyer portant sa bannière. Parmi la floraison des couleurs et des meubles héraldiques, il n’avait reconnu que la présence de Jean III de Grailly : d’or à la croix de sable chargée de cinq coquilles d’argent. Les autres armoiries ne l’intéressaient point ; pas même celles de ses prochains adversaires.
    À la suite de cette cavalerie d’hommes hautains, les uns vêtus en bourgeois, les autres adoubés d’une armure dans laquelle ils devaient fondre de la nuque à l’anus – dixit Paindorge -, les dames avaient été conviées à s’aligner en bel arroi selon les prérogatives dont elles jouissaient à la Cour. Désormais livrées aux bons soins des chevaux bellement apprêtés, elles étaient emportées de sursaut en sursaut dans leurs litières, basternes, chars à bancs et bérots qu’elles avaient fait enfleurir et parer avec autant de soin et de minutie que s’il s’était agi de leur propre toilette.
    La litière de la belle Jeanne, où l’or et l’argent se mariaient aussi glorieusement que sur son lit, précédait toutes les autres. Tristan doutait qu’elle l’occupât seule, sans pousser plus avant cette conjecture. Quatre pages en cotardie sang-de-dragon et deux varlets affectés à la surveillance des limoniers, houssés de pourpre et d’azur, formaient un écrin mouvant et attentif à cette nef terrestre emportée vers un rivage de la Garonne cependant que de part et d’autre de la chaussée jonchée de paille et de verdure, les façades se défiaient, offrant à la vue des processionneurs, modestes ou somptueuses, leurs draperies et tapisseries. Sous les toits, à hauteur des impostes, et sur des fils tendus au-dessus de la rue, des pennons de parchemin colorié ventilaient avec un crépitement de cliquettes. Tout cela s’imprégnait de cris et de frappements de mains, d’odeurs de mangeaille largement déployées, elles aussi, tandis qu’aux fenêtres des têtes rieuses se penchaient – des femmes surtout, qui assurément n’avaient jamais souffert de la guerre et des turpitudes des routiers.
    Tristan jetait parfois un regard sur son écuyer. Paindorge n’avait à redouter que le pas d’armes. Bien que dispensé des joutes selon Calveley, il cheminait, lui aussi, vers les cimes dangereuses où la mort pouvait se donner ou se recevoir aussi promptement qu’un jet de foudre. L’orgueil, il le savait, nourrirait la violence de son compère et le premier coup reçu l’exacerberait. Ils se seraient crus amoindris l’un et l’autre s’ils avaient demandé quels adversaires l’impotent Édouard leur destinait pour cette bataille à deux contre trois, quatre ou davantage.
    – Si nous vivons ce soir…
    – Ne pense pas à l’avenir, Robert, mais au présent.
    Tout comme son écuyer, Tristan se souciait peu des merveilles d’une cité apprêtée comme une épousée à la riche dot. Le bruit ne l’incommodait pas, bien qu’il eût préféré le silence et l’immobilité des bourgeois

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