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Le pas d'armes de Bordeaux

Le pas d'armes de Bordeaux

Titel: Le pas d'armes de Bordeaux Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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surmontés de coiffes colorées, distinguer celui de Tancrède. En fait, il importait peu qu’il la reconnût. Une trame amoureuse d’une fragile ténuité s’était ourdie entre elle et lui. Il se pouvait que, désenivrée, elle revînt à d’autres amours.
    – Vous allez tous les avoir contre vous, dit Shirton. Avez-vous soif ?
    Il ne souriait plus. Comme Aylward occupé à chasser les mouches qui titillaient parfois les yeux de Malaquin, il était vêtu d’un pourpoint de coutil gris, rapiécé, et portait sur la tête une aumusse de cuir noirci par l’âge. Il montra du doigt une file de barils dont les cannelles ne cessaient de verser des vins divers. Maintes personnes – hommes, femmes, enfants -venaient s’abreuver là, près des barrières, dans des timbales et des hanaps d’étain.
    – Je boirai quand j’aurai bouté mon dernier contendant.
    Les buveurs riaient en se portant la santé. Certains se tournaient vers les Franklins, et bien que Calveley fût présent, ils jubilaient, apparemment, de leur montrer le poing ou de cracher dans leur direction.
    – Sont-ils anglais ?
    – Non. Tu devrais savoir que, dans les joutes, nous respectons ceux qui, justement, nous challengent… Ces gens-là sont gascons. Nos meilleurs alliés. Je veux dire : les plus serviles.
    Bientôt sans doute, surtout si les chevaliers d’Angleterre tombaient les uns éplapourdis dans l’herbe, les autres saignant dru mais restant à cheval, l’aversion de ces gens de peu se muerait en haine. Déjà des yeux s’illuminaient de lueurs malveillantes, déjà l’on se racontait des histoires avec des gestes qui se voulaient convaincants ou définitifs ; déjà l’on chantonnait : déjà des hommes d’armes qui avaient chevauché en Espagne ou qui avaient servi à Crécy ou Poitiers, Calais ou Bécherel, se livraient à des imitations de fendants et d’estocades au risque de renverser leur claret.
    Les visages rouges ou blafards s’animaient d’une vie violente. Les taverniers comptaient les pièces puis les glissaient dans des tirelires de cuivre en forme de tonneau, et les tavernières essuyaient le plateau de la buvette mouillé par les culs des récipients. Çà et là, des jouvencelles circulaient entre les barrières encore vides de juges, hérauts, tabellions. Comme l’une d’elles, passant sous une lice, s’approchait de Calveley pour l’inviter à choisir entre les pâtés et les cannelas 101 amassés dans son panier, le géant pria Tristan de se prononcer. Furibonde, elle s’enfuit à toutes jambes en criant des injures.
    – Celle-là, tu ne pourrais, crois-tu, pouvoir l’empateliner 102 … Erreur : si tu contrestes et grièves 103 mes compères, elle sera aussi bonne à consommer que ses dragées à la cannelle.
    Ensuite, avec un déplaisir qui lui coûtait, Calveley désigna les pavillons adverses :
    – Il y a Gournay, Grailly, Bagerant… Je les ai vus… Je vais aller rôder parmi eux. Ensuite, j’irai à pied devant l’échafaud du prince… Shirton, Aylward, je vous confie Godwin.
    Laissant à ses hommes son gros cheval noir qui, s’encapuchonnant 104 , semblait réprouver son départ, l’Anglais traversa le champ, croisant un clerc vêtu de bure neuve. Manifestement, ce tonsuré venait s’entretenir avec le Franklin. De loin Tristan salua cet homme maigre, clopinant, dont la croix pectorale en or pouvait avoir appartenu au butin du prince Édouard.
    – Je suis venu, mon fils, vous prêter assistance…
    Votre tâche sera cruelle et redoutable… Pourquoi l’avez-vous acceptée ?
    Tristan s’inclina et dévisagea brièvement ce presbytérien au visage mince, glabre, qui semblait animé d’une religiosité sans faille. Les traits étaient énergiques, la bouche plate, tremblante, comme prête à fulminer des anathèmes et le front soucieux. Sous des sourcils blancs, les prunelles d’émeraldine semblaient avoir été délavées par des pleurs nombreux et acides.
    – Ma liberté, mon père, ne peut se gagner qu’au prix du sang. Ce n’est pas moi qui ai souhaité l’obtenir par une joute meurtrière… Allez en demander davantage au prince Édouard, mon contraigneur… ou à la princesse.
    – Justement, chevalier, c’est elle qui m’envoie.
    Tristan écarquilla les yeux. Quoi ! La belle Jeanne l’avait pris en estime – ou en pitié ? Sans doute Tancrède avait-elle voulu – ou exigé – qu’il en fût ainsi. Craignaient-elles qu’il ne fut occis ?

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