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Le pas d'armes de Bordeaux

Le pas d'armes de Bordeaux

Titel: Le pas d'armes de Bordeaux Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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Tancrède, oui. Mais Jeanne ?
    –  Vous la regracierez de se soucier de moi.
    – Mais vous pouvez périr sans qu’il y ait, chez vos adversaires, dessein de vous occire.
    – J’en connais qui ont cette volonté… La mort, mon père, n’est-elle pas le garant d’une liberté immense, et, si j’ose dire, éternelle ?
    Avec un respect qui s’effritait un peu, Tristan considérait cet homme avenant moins par ses qualités de cœur, sans doute, que par ses fonctions sacerdotales. Peut-être avait-il lui aussi piété dans la plaine de Nâjera, sa robe soulevée sur le côté par le guinchart de chanvre tressé qui laissait entrevoir des sandales neuves, une cheville épaisse et un jarret robuste et poilu. Il avait crié : «  Dieu et saint Georges  » à tous vents, le poing fermement serré sur la hampe d’une crosse à volutes d’orfèvrerie robée dans quelque lieu saint, et dont l’arestuel, tel un picot de lance, s’était mouillé de vermillon.
    – Hugh Calveley m’a dit que vous êtes un preux.
    Tristan s’inclina une seconde fois. Le compliment semblait sincère.
    –  Je conçois votre amertume, mon fils. Vous êtes esseulés, vous et votre écuyer. Eussiez-vous lu Ovide que vous diriez avec lui : barbarus hic ego sum, quia non intelligor illis. Ce qui veut dire…
    – Ici, c’est moi le barbare parce que je ne suis pas compris d’eux (370) .
    – Holà ! Vous savez le latin.
    – J’ai fait mon noviciat à Fontevrault et j’ai préféré aimer mon pays et honorer les dames qu’adorer Dieu.
    Il clouait le bec de cet homme en vérité trop prévenant.
    – Ah !… Voulez-vous communier ? J’ai des hosties dans ma tasse 105 .
    Remuant négativement l’index, Tristan se complut à préciser :
    – Je l’eusse fait en n’importe quelle église, mais nous n’avons pas été invités, mon écuyer et moi, à entendre la messe ni à Saint-André ni ailleurs. Nous avons mangé trois brins d’herbe du cortil 106 de Hugh Calveley. Nous sommes donc absous de nos égarements.
    Ces brins arrachés au fond du jardin étaient amers comme la vie. Ils les avaient fait couler avec quelques rasades de claret. Il s’était alors senti mieux dans son corps que maintenant dans son armure.
    – Eh bien, mon fils, s’il en fut ainsi, je n’ai plus rien à vous dire.
    Le clerc s’éloigna en allongeant ses enjambées à mesure qu’il s’approchait de l’échafaud des dames. Il avait hâte de rendre compte de son ambassaderie à la belle Jeanne et à ses compagnes.
    – Nous les aurons tous contre nous, dit Paindorge.
    Ensemble ils regardèrent la multitude qui les observait.
    –  Combien sont-ils, messire ?
    – Deux milliers. Je ne dis pas deux bons milliers car nous n’y avons que des ennemis. Qu’ils soient de souche ou d’Angleterre, tu dois les sentir, Robert, avec la même contention que moi-même, en parfaite union…
    – … dans la détestation. Tous sont avides de nous voir souffrir, vous d’abord et moi ensuite.
    Si Bordeaux, ce dimanche, sécrétait dans sa double enceinte plus d’apparat et de gaieté que Paris à la Fête-Dieu, ses habitants réunis à l’entour de la lice, animés du seul désir d’assister au triomphe de leurs champions, passaient progressivement, désormais, sans qu’aucun symptôme n’eût annoncé ce changement, d’une confiance allègre à une gravité peut-être éphémère.
    – Certains craignent une déception. En fait, j’envie ces gens parce qu’ils vivent mieux que ceux de chez-nous… On dit que des routiers guignent leur ville, affriandés qu’ils sont par les richesses des privilégiés du commerce et de l’armement. Jamais ils ne franchiront ces murs trop hauts, trop épais et bien gardés. Je crois même que, cernés par cent mille malandrins, les Bordelais finiraient par les décourager.
    – Pourquoi ?
    – Parce que, plutôt que de le corrompre, leur prospérité a développé chez eux l’orgueil du bonheur et que cet orgueil est une force. Nous allons incarner pour eux, ce jour d’hui, la fragile et piteable royauté de France.
    Il était manifeste que ces manants, bourgeois, soudoyers, prud’hommes dispensés du service de l’ost en raison de leur âge ou de leurs navrures, aspiraient à ce que les chevaliers anglais, gascons et autres fissent devant eux preuve de leurs mérites. Ce dimanche, à quelques semaines de la défaite du Trastamare et des Français en Espagne, on allait immortaliser la

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