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Le pas d'armes de Bordeaux

Le pas d'armes de Bordeaux

Titel: Le pas d'armes de Bordeaux Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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sans passion qui l’avait dilaté. Il était las, maussade et déjà résigné.
    –  Robert peut revenir, dit-il, souhaitant ardemment que son écuyer ne prolongeât point son absence.
    – Fais-moi plaisir.
    Consterné par cette voix de mourante, il ne put que se souvenir des inexplicables enchantements qu’il éprouvait au moindre de ses soupirs sans pouvoir vaincre en lui l’incertitude irritante de lui offrir une délectation qu’elle lui rendait souvent avec parcimonie. En fait, c’était parce qu’elle ne cessait d’être un mystère – brûlant ou tiède ou froid – qu’il avait peine à s’extraire de son étreinte.
    Il la laissa le retourner, le réduire à ce qui seul comptait pour elle. Et comme elle le croyait désireux de poursuivre, elle s’étendit sur le dos :
    – Plante ton gonfanon, chuchota-t-elle. Ce soir, il ne me faut pas autre chose. Il fait trop froid pour s’attarder à des simagrées… Plus que de ton savoir, j’ai besoin de ta vigueur tant je sens la mienne épuisée.
    C’était un langage inhabituel. Une injonction ou presque. Il semblait qu’elle eût égaré le bréviaire qu’elle aimait à lui voir réciter de la bouche et des mains pour en venir au balbutiement des prières. Elle dit d’ailleurs :
    – Je suis hodée. Réchauffe-moi.
    Le grand hymne d’amour ou prétendu tel ne serait ce soir qu’un virelai hâtif : pour elle un tison et pour lui une purge. Mais après tout, s’il les satisfaisait…
    Dehors un cri trembla le hôlement d’une hulotte. Le gémissement de Tancrède y répondit. Tristan étouffa les autres de sa bouche alors qu’il s’échinait à la rencontre d’une félicité peu glorieuse dont, pour une fois, il ne s’évertuait pas à repousser la venue.
    *
    Le lendemain, Paindorge étant parti pour Excideuil, ils dégagèrent les chambres du donjon. Les meubles avaient servi comme bois de chauffage mais trois lits avaient été épargnés : sans doute quelques chefs des routes qui avaient fait halte à Rechignac avaient-ils couché dedans, laissant leur piétaille commettre où que ce fut des abusions de toute espèce.
    Paindorge revint à la nuit, devançant la mule lourdement bâtée, suivie, à pied, par deux charpentiers, Richard et Jacquelin, vingt-cinq et trente ans. Ils avaient consenti à demeurer quelques semaines au château pour réparer ce qui pouvait l’être. Leurs outils formaient sur la mule deux grosses gibbosités d’où sortaient les manches de leurs marteaux.
    Sous les indécises clartés d’un automne humide et précoce, une nouvelle existence commença, dépourvue d’apprêts pour la guerre. Tancrède l’entamait chaque matin par une courte prière à la chapelle devant la châsse où reposait le crâne de Guillaume de Rechignac miraculeusement respecté par la truanderie. Ensuite, advenait qu’elle voulût courir les forêts et les friches non pour chasser mais pour raffermir ses souvenirs et prendre la mesure de son domaine. Réchauffées par un soleil pâle, les feuilles empesées exhalaient ainsi que les halliers des senteurs légères qui persistaient jusqu’à midi tant le vent de la plaine était faible. Malaquin et John les respiraient à grands traits tout en frappant de leurs sabots l’écume verte des prairies épargnées par les envahisseurs griffus : chardons, panicauts et roncières.
    – Avant, c’était ainsi : des champs à l’infini entrecoupés de vignes.
    Avant, c’était la jeunesse prime de Tancrède. C’était lorsqu’elle était pucelle et convoitait des délices prodigieuses. Imaginant parfois Ogier à sa place, Tristan se délecta de cette beauté farouche et de sa sûreté en selle. Elle était faite non seule ment pour l’amour, mais pour galoper ainsi sur un coursier tout aussi impétueux qu’elle. Elle était née pour toutes les aventures comme d’autres naissaient pour tous les combats. Ils se parlaient à peine. Leurs silences étaient lourds d’une entente que des mots n’eussent pu décrire. Il sentait l’âme de Tancrède remuée jusqu’à son tréfonds. Quant à lui, son bien-être se plombait d’une culpabilité sourde. On l’attendait à Gratot. Il vivait dans un faux exil. La nature, bientôt, s’ensauvagerait. Il craignait que la froidure et la mélancolie d’un hiver cruel ne vinssent chagriner son esprit où le remords parfois lui faisait violence.
    Rechignac allait vivre. Son peuplement commençait. Les charpentiers avaient fait venir

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