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Le pas d'armes de Bordeaux

Le pas d'armes de Bordeaux

Titel: Le pas d'armes de Bordeaux Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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représentaient pour moi… et pourquoi je suis là et te livre mes peines.
    Elle se reprit :
    – Quand je te dis « je ne sais trop  », je te mens. Je me mens, ce qui est pire.
    Elle revint lentement vers le donjon. Parvenue au milieu du tinel vide des meubles qu’elle y avait connus et qui sans doute avaient servi à cuire des victuailles, elle s’arrêta et regarda la cheminée, ressuscitant dans son foyer les feux de jadis et devant, assis dans de hautes chaires ou sur des bassets, les gens qui d’ordinaire, « prenaient le chaud » avant de passer à table, de partir vaquer à quelque ouvrage ou encore de gagner leur chambre.
    L’ombre se développait, mais Tancrède y voyait autant sinon mieux qu’en plein jour. Elle se remit à marcher, indécise, poussée par quelque invisible main douce mais impérieuse.
    – Ogier, dit-elle.
    Et Tristan crut entendre un sanglot, un soupir d’où il sentit éclore une autre voix – celle dont peut-être elle usait en prière, s’il lui advenait encore de s’agenouiller devant le Rédempteur.
    – Je l’aimais. J’en ai été amourée dès que je l’ai connu. Il y avait en lui une force… incertaine… pusillanime… Une vigueur douce, si tu préfères. Je ne sais comment te dire. Il était celui dont j’attendais la venue du haut de mes treize ans. Cependant, je refusais d’accepter cette vérité… Je me sentais disposée pour d’autres passions, destinée à d’autres douceurs… J’étais prise dans les rets de celle qui m’avait révélée à moi-même : Gersende… Ah ! Laissons cela, mais c’est vrai, je te le jure : j’aimais Ogier… Et pour échapper à cette sujétion inséparable de l’amour, je me suis mise… ou plutôt, je me suis efforcée de le détester. Il en a souffert. Moins que moi, je crois… Pour lui montrer – comment dire ? – que j’étais à son niveau, je m’adoubais en chevalier. J’errais sur les aleoirs. Plutôt que de me remirer, plutôt que de se merveiller de moi, il me traitait avec une suffisance, à moins que ce n’eût été une pitié qui n’a cessé de me blesser et dont je fus guérie à Ashby… Mais peut-être n’ai-je commis que des erreurs de jugement à son égard… Et puis…
    Tancrède s’était interrompue brusquement. Elle hésitait. Elle dit enfin sur un ton neutre, contraint :
    – Mon nom m’a peut-être porté malheur. C’est celui que voulait mon père, qui souhaitait un gars. Ma mère avait voulu m’appeler Aiglentine.
    Elle semblait sentir la mort au-dessus d’elle. Tristan chercha comment apaiser son tourment.
    – Songe, dit-il, qu’Ogier, ton père et tous ceux que tu connus céans se sont éloignés comme ta sœur Claresme. Oublie ces trépas. La mort est un exil.
    C’était ce qu’il pensait pour Oriabel. Farouchement.
    Il prit Tancrède par l’épaule. Au milieu de leur émoi, de leur tristesse et de leurs craintes inavouées, il leur appartenait de saluer par quelques mots les disparus. Peut-être devaient-ils aussi méditer l’un et l’autre sur les dettes de reconnaissance qu’ils avaient contractées envers eux.
    – Tu ne peux pas savoir la dureté que j’ai déployée pour Ogier.
    Tristan acquiesça sans se préoccuper de ce que serait la suite d’une confidence qu’il souhaitait ultime. Comme il la pressentait avec une acuité tout aussi douloureuse que son épaule, il préféra parler plutôt que de l’entendre :
    – Ogier était simple et rigoureux envers lui-même plus encore qu’envers autrui. Il excellait aux armes. Je peux me remémorer mot à mot certains de ses propos pendant que nous chevauchions ensemble. Il avait la tête penchée de côté, non par le poids du bassinet mais par celui de ses méditations. Parfois, sa voix devenait sourde, sans éclat, mais ses yeux s’illuminaient. J’aurais aimé savoir alors ce qu’il voyait.
    – Moi, dit Tancrède avec simplicité.
    Dans son regard dansait une flamme allumée par un souvenir heureux, et Tristan s’irrita de ne pouvoir sonder cet esprit sans cesse occupé par des remembrances sombres et sévères ou langoureuses. Le rappel de ces dernières suscitait dans sa mémoire, au-delà des images intactes, des émois toujours renouvelés. Elle dit, en s’immobilisant sur le seuil du donjon :
    – Ah ! Mon noble cousin. Si je m’en suis éloignée, c’est peut-être que je l’aimais trop fort. Si j’ai vécu d’autres amours, c’est sans doute que je craignais cette

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