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Le pas d'armes de Bordeaux

Le pas d'armes de Bordeaux

Titel: Le pas d'armes de Bordeaux Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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précaire que fut l’existence des humbles, il se surprit à l’envier.
    – Viens, dit Tancrède. Rejoignons ton écuyer.
    Et comme elle s’engageait sur les degrés d’accès au chemin de ronde où la brume nocturne évaporait son encre :
    – Demain nous pousserons toutes les portes. Paindorge partira pour Excideuil avec la mule. Il nous en rapportera des draps, de la nourriture, des écuelles et gobelets… Car tu vas demeurer, n’est-ce pas ?
    Elle ne s’était pas retournée. Elle le fit enfin, le dominant de deux marches. Il acquiesça de la tête avec un déplaisir dont il fut comme angoissé. On l’attendait à Gratot : Luciane, Tiercelet, Thierry et tant d’autres. Demeurer, c’était les trahir. Partir, c’était trahir Tancrède. Comme Paindorge s’approchait, l’air contrit, il décida :
    – Il nous faut redonner la vie à ce château.
    Sachant que l’écuyer l’adjurerait de quitter Rechignac avant l’hiver et lui reprocherait d’être pusillanime, il craignit qu’un événement fortuit ne les mît seul à seul en présence et qu’il eût à subir des admonitions dont il ne pourrait contester la justesse. Restait Tancrède. Quelle que fut la façon dont il s’en séparerait, il la décevrait et conduirait au désespoir. Présentement, il ne pouvait l’abandonner dans cette aire de pierre livrée aux souffles d’un vent aigre, froid et maussade.
    – Nous voici à la vesprée, dit Paindorge. Bientôt, il fera nuit. Les lits nous font défaut, et la paille et le foin. Va falloir hosteler 201 à la belle étoile.
    Il dormirait, lui. « Et nous ? » s’interrogea Tristan. Il soupçonnait Tancrède de vouloir apaiser son mésaise par quelques étreintes. Il n’en éprouvait point la nécessité. Sa seule ambition consistait à la rassurer, à lui restituer sa confiance perdue – encore qu’il n’apparût pas qu’elle en eût été dépossédée et à consolider sa foi en un avenir à la mesure de ses aspirations.
    – Choisissons-nous un bon abri. Les chevaux et la mule nous donneront leur chaleur. Demain, nous aviserons.
    Ils trouvèrent un toit au fond d’une écurie où çà et là subsistaient des bat-flanc vermoulus. Ils gonflèrent des mains et des pieds un reste de litière mêlé à des herbes vivantes. Ils y éten dirent les flanchières de leurs selles. Au-dessus d’eux un affenoir béait sur un pan de ciel clair.
    Après avoir attaché par leurs rênes, à des râteliers branlants, la mule et les chevaux, Paindorge gravit un escalier toujours solide pour clore la trappe. Il quitta l’écurie sans un mot.
    Tancrède chercha et trouva une main qui ne se dégagea point.
    – Je te retiens. Il doit me détester.
    – Non, dit Tristan sans conviction. Il se sent de trop, c’est tout. Il n’est pas près de revenir.
    L’air âcre et comme lourd pesait sur leurs voix. À moins qu’ils n’eussent des griefs inexprimés l’un envers l’autre. Tancrède s’éloigna dans le dessein peut-être de revoir Rechignac sous la lune.
    Quand elle revint, les ténèbres avaient envahi l’écurie. Tristan la sentit se catir contre lui avec une passion qui, sans doute, se composait d’angoisse et de détresse.
    Ouvrant les bras, il sentit quelques cheveux titiller ses narines. Leur odeur le pénétra, cette odeur de fleur et de chair qui le touchait jusqu’à l’âme.
    – N’aie crainte de rien, dit-il.
    Il s’attendrissait de savoir Tancrède, la hautaine Tancrède, si désarmée face à une adversité qu’elle avait appelée de tous ses vœux. Car enfin, à Bordeaux, elle avait la vie belle !
    Longtemps, elle remua contre lui, une jambe entre les siennes, avec des soupirs dont il ignorait s’ils étaient d’aise ou de mésaise, puis elle se dégagea et se mit debout. Dans l’infinie clarté qui tombait sur la paille et se reflétait à l’entour, il la vit se dévêtir sans que la fraîcheur qui l’enveloppait parût avoir prise sur cette chair qu’elle savait si parfaitement dominer ou abandonner à des désirs dont il se demandait parfois s’ils n’étaient pas simulés. Le dessin de ses contours vêtus de transparences grises éveilla d’un bout à l’autre de son être une appétition qu’il réprouva.
    – Folle ! reprocha-t-il. Tu vas prendre froid.
    – J’ai besoin que tu me réchauffes.
    Allégation mensongère. Il se tourna sur le ventre cependant qu’entre elle et lui la distance diminuait. Il réprouvait l’espèce d’envie

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