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Le pas d'armes de Bordeaux

Le pas d'armes de Bordeaux

Titel: Le pas d'armes de Bordeaux Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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d’ordinaire gais, effrontés, révélaient une angoisse extrême. En courant, Tristan la suivit. «  Qu’a-t-elle imaginé ? Paindorge a-t-il raison ? » Il se trouva dans le donjon sans savoir comment il y était parvenu. Il faillit tomber en glissant sur certains degrés savonnés de poussière et d’humidité. Il enrageait, ne concevant pas d’être soudainement privé de toutes ses intentions et persécuté par une frayeur qui ne cessait de croître. Son cœur battait. Il craquait de toutes ses fibres.
    Il comprit dès qu’il eut pénétré dans la chambre.
    Tancrède gisait sur le lit, la chemise haut retroussée. Un sang épais coulait d’entre ses cuisses. Elle avait encore dans la main le bois de flèche certainement aminci au couteau, avec lequel elle s’était pénétrée.
    – Pourquoi ? s’écria Tristan, furieux. Que veux-tu que nous fassions ? Le premier mire est à deux lieues. Pourquoi ?
    « Pourquoi ? » C’était tout ce qu’il savait dire. La réponse ne lui appartenait pas. Perrine le toucha du coude :
    – Messire, quand on fait ces choses, c’est qu’on veut avorter.
    – Avorter ?
    Il se pencha sur le visage figé, aux yeux révulsés de souffrance, puis regarda ce ventre imberbe, souillé d’un sang qui suintait sans cesse ; ce ventre qui lui avait livré tous ses secrets, sauf celui de ce matin terrible.
    – Pourquoi ?
    Il ne s’était jamais soucié des menstres de Tancrède. Parce qu’elle lui semblait tellement différente des autres et plus âgée, il ne l’avait jamais crue assujettie à ces inconvénients lors desquels les femmes qu’il avait connues – Francisca surtout – se montraient titilleuses et désagréables. Jamais il n’avait pensé que Tancrède pouvait devenir une épouse, à plus forte raison une mère. Il n’allait pas lui demander : « Depuis quand ? » mais tourné vers Perrine, il la prit aux épaules :
    – Savez-vous ce qu’il faut faire pour arrêter ce saignement ?
    Elle n’en savait rien.
    – Connaissez-vous dans ces murs une commère avisée ?
    Non. Elle était écrasée du même poids de terreur que lui.
    – Mère à quarante ans, dit Tancrède sous la poussée d’une fureur ultime. Un bâtard ou une bâtarde… Non !
    Bien que des larmes eussent dû en aviver l’éclat, ses yeux s’étaient ternis. Le sang se retirait d’elle. Toujours. Invinciblement. Il fallait contenir ce flux mortel, éponger les exécrables ri goles qui maculaient ses cuisses et glissaient sous elle en de sombres serpentements.
    – Aidez-moi, Perrine.
    – L’enfant n’est pas sorti… J’ai trop attendu. Je l’ai tué. Je vais périr. Le jugement de Dieu…
    Tancrède souriait sans effroi. Perrine avait levé le couvercle d’un coffre. Elle en tira un drap qu’elle lacéra. Ensuite, elle essaya de bouger la martyre. Sous elle apparut une flaque moite, épaisse. Le visage décoloré, l’œil fou, la bouche frémissante, la meschine, effrayée, ne pouvait que répéter :
    – Elle se vide ! Elle se vide !
    Tancrède se convulsa soudain comme lors des voluptés amenées à leur terme. Le goût du néant poissait sa bouche cependant que ses yeux se révulsaient encore. La mort était désormais dans la chambre, invisible et tenace, injuste et perverse. Des linges appliqués sur l’entrecuisse, le sang s’épanchait toujours, poisseux, sanieux, et son odeur devenait abominable.
    Tristan prit Tancrède aux épaules. Muet. Les mots se refusaient à son entendement. Il ne pouvait y avoir de miracle. Il fallait subir. Subir le sang et les ténèbres ; se sentir coupable sans avoir été accusé du moindre mal, coupable d’avoir…
    – Elle s’en va, dit Perrine, terrifiée. Peut-être qu’il faudrait la suspendre par les pieds… Elle cesserait de se vider.
    C’était une idée folle. D’ailleurs, il était trop tard : Dieu ou la Providence abandonnait Tancrède. Elle remuait à peine, une main posée sur ce ventre qui semblait enfin se tarir.
    – Il faudrait un prêtre, un chapelain, murmura Perrine. Elle va partir sans confession, sans hostie…
    L’horribleté, dans cette mort, n’était pas l’absence des sacrements et l’aspersion d’eau lustrale, c’était sa lenteur et l’espèce de docilité avec laquelle Tancrède acceptait la douleur et la certitude de sa disparition prochaine. Comme Perrine maintenant agenouillée, mains jointes, les yeux levés, Tristan se devinait rejeté, incapable de quoi

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