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Le pas d'armes de Bordeaux

Le pas d'armes de Bordeaux

Titel: Le pas d'armes de Bordeaux Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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que ce fût. Un froid différent de celui de l’hiver l’avait empoigné. Il s’en savait prisonnier. Il ne voulait plus regarder le visage de Tancrède. Bien qu’il fut innocent de cette mort, il s’en désignait responsable et savait qu’il ne se disculperait pas avant longtemps. Il se sentait les yeux secs, la gorge nouée. Il n’avait rien su, rien vu, et c’était sa faute à elle ; après tout ! Si seulement elle lui avait dit…
    Soudain Perrine se leva. Il y avait un crucifix de bois au-dessus de la porte. Elle le décrocha et l’approcha de Tancrède. Le regard de la mourante exprima de l’aversion.
    – Non !
    Elle souffrait au-delà de ce qu’elle avait imaginé. Au-delà de la foi. Qu’avait-elle à se soucier de cette croix ? Elle mourrait seule. Elle s’y résignait avec cette hautaineté qui était, hors de l’amour, un des traits de son caractère. Tristan voulut lui prendre la main. Elle refusa.
    – Ne me pleure pas… si tu en as l’intention. Que tu sois resté ou non, je l’aurais fait… Fille ou fils, il était nôtre…
    Une pécheresse. Il l’absolvait de tous ses excès autant qu’un prêtre l’eût fait. Des bribes de latin, – reste des litanies apprises à Fontevrault – lui revenaient en mémoire tandis qu’il pensait aux charpies sanglantes qui eussent dû être jetées au feu après l’extrême-onction.
    –  Salvum fac servum tuum, Deus meus, speratem in te… et filius iniquitatis non apponat nocere ci… Dominus vobiscum… et cum spiritu tuo…
    Des mots. Existait-il un Paradis pour accueillir cette âme ? Et ce corps, qu’adviendrait-il de lui ?… Si belle… Si belle à l’âge où les femmes se flétrissent ou grossissent, se ternissent ou s’assèchent…
    Tristan joignit ses mains. C’était insuffisant. Ses doigts s’enclavèrent les uns dans les autres. Il les serra jusqu’à ce que leurs jointures le fissent souffrir. Ainsi, il se pencha sur Tancrède et s’emplit les yeux et la mémoire de son visage où sous la chair suante, livide et tendue, les os affleuraient déjà.
    – Ta main, murmura-t-elle.
    C’était la même douce injonction que parfois dans l’amour. Il semblait que proche du trépas, elle atteignait une sorte de plénitude, une délectation qu’elle voulait éprouver dans son entièreté.
    Il saisit cette main poisseuse d’un sang dont l’odeur lui fut cruelle et regarda, par l’encolure largement ouverte de la chemise, cette poitrine qu’il avait si souvent empaumée, tâtonnée, suçaillée. Le halètement de Tancrède eût été le même si elle avait couru sur les pentes de Rechignac. Elle courait vers la mort. Elle allait l’atteindre.
    – Elle s’en va, sanglota Perrine.
    – Non, dit Tristan, le regard fixé sur les yeux immobiles, d’où toute clarté disparaissait. Elle a franchi le seuil au-delà duquel nous ne pouvons l’accompagner.
    *
    Les yeux secs et le cœur serré, il descendit lentement dans la cour. Emmitouflées dans des manteaux de peaux d’ours, Ydain et Yolande semblaient guetter son apparition.
    – Montez… Notre dame est morte. Perrine vous attend.
    Sans un mot, elles obéirent. Paindorge s’approcha :
    – Elle est morte !
    – … essayé de se faire avorter… Un enfant… Le mien, le nôtre… Ah ! Malheur…
    L’écuyer n’insista pas. Tristan l’abandonna ses pensées pour errer sur le chemin de ronde en attendant qu’on ensevelît la défunte.
    À l’extérieur de l’enceinte, c’était toujours, derrière les collines rouillées, l’infini des monts ténébreux derrière lesquels, très loin, la Normandie étalait ses prairies. À l’intérieur, c’était l’animation de chaque matin Jacquelin et Richard remettaient en état le toit de la chapelle, deux soudoyers gâchaient du mortier devant ce qui, jadis, avait dû être l’échansonnerie et le troi sième, une hache sur l’épaule, s’en allait couper quelques bûches entassées à proximité des tours portières. Il chantait. Son chant ne profanait rien.
    Après les longs moments de détresse où Perrine avait montré plus de courage et de fermeté que lui, Tristan fut surpris de marcher et de respirer avec tant d’aisance. Il n’appartenait plus à Rechignac. Il percevait nettement qu’entre les forêts à l’entour et sa personne, entre les murailles et sa présence, entre le passé récent incarné par Tancrède et ce qu’il était devenu dès son trépas, la rupture était consommée. Il

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