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Le pas d'armes de Bordeaux

Le pas d'armes de Bordeaux

Titel: Le pas d'armes de Bordeaux Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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de Perrine acharnée à aplanir la sépulture. Elle ne guérissait point de la frayeur éprouvée au chevet de Tancrède. Si peu épaisse qu’elle fût, cette élevure de terre devait disparaître de sa vue. Après avoir observé la meschine, Tristan fit face à Jacquelin :
    – Ce château n’est pas mien. Nous y sommes arrivés à la mi-septembre et nous voilà le 9 janvier. En plus de trois mois, j’ai accompli pour Tancrède et pour ces murailles tout ce que j’ai pu. J’ai tenu avec vous la scie et le marteau. J’ai manié la bêche et la truelle. J’ai essarté, écobué quand le temps le permettait.
    Il observait alternativement Richard faussement indifférent et Jacquelin dont la coutumière faconde avait cessé. Pour lui, à la fin de la journée, ils seraient aussi morts que Tancrède. Bien que leurs traits se fussent comme uniformisés dans une sorte de tristesse douloureuse, ils n’éprouvaient rien d’autre qu’une curiosité des plus légitimes à l’égard de celui qui les avait commandés sans excessive fermeté. Ils n’avaient aucune imagination. Ces manants ne savaient qu’obéir.
    – Qu’allons-nous devenir ? demanda enfin Richard.
    – Je ne suis rien pour ce château qui ne m’est rien.
    – Alors ? demanda Perrine soudain présente en essuyant d’un doigt ses paupières rougies. Que nous conseillez-vous ? Robert m’a dit que vous allez partir orains 204 …
    – C’est vrai.
    Il n’y avait rien d’autre à dire concernant ce départ.
    Quant au reste…
    – Demeurez en ces murs, dit Paindorge de loin. Ils ne sont à personne. La seule héritière est à Tolède, en Espagne. Elle ne reviendra jamais.
    – On n’a pas le droit, dit Jacquelin dont la face ronde ne cessait d’être blafarde.
    – Certes, dit Tristan, contrarié par l’intervention de son écuyer, bien qu’il l’eût trouvée pertinente. Votre devoir, c’est de faire vivre Rechignac. Votre droit, c’est d’y être heureux. Quand nous y sommes arrivés, ce château n’était qu’un vieux corps malade. Nous avons remédié à la plupart de ses maux et le voilà en voie de guérison. Ne laissez plus les pluies et les vents essayer de l’anéantir… Sauf à Excideuil personne ne sait que vous logez ici et personne ne saura que nous sommes partis.
    – C’est vrai, dit Richard. Mais pour vivre, il faut acheter de la nourriture. Nous n’avons rien à vendre encore…
    – Vous trouverez dans le coffret que j’ai placé sur le linteau de la cheminée du tinel de quoi attendre la venue des toutes premières récoltes sur les terres du hameau que je vous invite à rebâtir. Faites bon usage de ces pièces d’or qui ont cours en Pierregord et ne vous querellez pas, surtout, pour vous les partager.
    – Et vous ? demanda Richard, avez-vous pris votre rate 205  ?
    « Ce drôle va-t-il me demander des comptes ? » se demanda Tristan, soudain furieux.
    – J’aurais pu tout emporter sans que vous n’en sachiez rien. Je n’ai pris que ce qui me convient parce que les infortunés, c’est vous.
    Il se tut. Quelque chose de lugubre avait noirci tous les mots dont il s’était servi. Il fallait partir maintenant. Il fallait échapper à l’étreinte de ces pierres et au poids du ciel. Perrine regardait Paindorge avec la curiosité fiévreuse d’une femme qui, sur un seul propos, pouvait se lancer à corps perdu dans un pénible voyage. Mais cette injonction, ce «  Viens  » qu’elle espérait, l’écuyer n’osait l’exprimer. Tout dans son attitude révélait une tension que dissimulait mal sa fermeté apparente.
    – Viens, Robert, dit Tristan. Les chevaux sont sellés ?
    – Oui, messire. La mule est bâtée, les armures enfardelées sur elle. Rien ne manque. Nous n’avions pas grand-chose en partant pour l’Espagne. Nous n’en aurons guère plus au retour.
    L’émoi rendait Paindorge cérémonieux.
    – J’ai pensé, dit-il, à seller John.
    – Tu as bien fait. Va les quérir : nous n’avons plus de temps à perdre.
    Tandis que l’écuyer allait chercher la mule et les montures, Tristan étreignit Richard et Jacquelin. Il baisa Perrine aux lèvres :
    – Vous êtes braves, leur dit-il. Que Dieu vous ait en sa sainte garde.
    C’était une fin piteuse, mais c’était tout ce dont il était capable. Sa tristesse, faite de résignation et de mélancolie, s’aggravait. Il s’était engagé de corps et de cœur dans une funeste aventure en obéissant aux lois

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