Le pays de la liberté
Elle revit une autre image. Un après-midi, à High Glen, elle avait surpris un jeune chevreuil en train de boire dans un ruisseau. Ce souvenir lui revint comme un tableau. Elle avait émergé du couvert des arbres pour se retrouver à quelques pas de l'animal.
Il avait levé la tête et l'avait regardée. Au moment o˘ il sortait du ruisseau, l'eau luisait sur ses flancs musclés. Elle avait son fusil à la main, chargé et armé, mais elle fut incapable de tirer: une telle proximité
lui parut créer avec l'animal une sorte d'intimité.
En regardant l'eau ruisseler sur la peau de Mack, elle songea que, malgré
tout ce qu'il avait vécu, il avait encore la gr‚ce puissante d'un jeune animal. Au moment o˘ Mack enfilait sa culotte, Roy bondit vers lui. Mack releva la tête, aperçut Lizzie et se figea, surpris. Puis il dit: ´Vous pourriez vous retourner.
- Vous aussi ! répliqua-t-elle.
- J'étais là le premier.
- Cet endroit m'appartient ! ª riposta-t-elle. C'était étonnant la rapidité avec laquelle il pouvait l'irriter. De toute évidence il se sentait sur un pied d'égalité avec elle. Elle était une femme du monde et lui n'était qu'un forçat qui travaillait aux champs, mais il ne semblait pas impressionné. La différence de leurs statuts sociaux lui semblait l'úuvre d'une Providence arbitraire. Lizzie n'y avait aucun mérite et lui n'en éprouvait aucune honte. Son audace était agaçante mais du moins était-ce un sentiment sincère. McAsh n'était jamais sournois. Jay, en revanche, la déconcertait souvent. Elle ne savait pas ce qu'il pensait et, quand elle l'interrogeait, il était tout de suite sur la défensive.
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Mack avait l'air amusé maintenant. ´Je vous appartiens aussiª, déclara-t-il.
Elle regardait sa poitrine. Il retrouvait ses muscles. Ét je vous ai déjà
vu nu. ª
La tension disparut d'un coup et ils se mirent à rire, comme ils l'avaient fait devant l'église quand Esther avait dit à Mack de la boucler.
´Je m'en vais donner une fête pour les ouvriersª, annonça-t-elle.
Il passa sa chemise. ´ quel genre de fête ? ª
Lizzie se prit à regretter qu'il e˚t si vite passé sa chemise : elle aimait bien regarder son corps. ´ quel genre aimeriez-vous ? ª
II prit un air songeur. ´ Vous pourriez faire un feu de joie dans l'arrière-cour. Ce qui plairait le plus aux ouvriers, ce serait un bon repas, avec beaucoup de viande. Ils n'ont jamais assez à manger.
- quels plats aimeraient-ils ?
î Hmm. ª II s'humecta les lèvres. ´ L'odeur du jambon frit venant de la cuisine sent si bon que ça fait mal. Tout le monde adore ces patates douces. Le pain blanc : les ouvriers n'ont jamais rien que ce pain de maÔs qu'on appelle du pone. ª
Elle se félicita d'avoir pensé à parler de cela à Mack. ´ qu'est-ce qu'ils aiment boire ?
- Du rhum. Mais certains des hommes sont d'humeur batailleuse quand ils boivent. Si j'étais vous, je leur donnerais du cidre ou de la bière.
- Bonne idée.
î Pourquoi pas un peu de musique? Les nègres adorent danser et chanter. ª
Lizzie s'amusait beaucoup. C'était drôle de préparer une fête avec Mack.
´Très bien... mais qui jouerait?
- Il y a un Noir affranchi du nom de Pepper Jones qui joue dans les ordinaires de Fredericksburg. Vous pourriez l'engager. Il joue du banjo. ª
Lizzie savait que órdinaireª était le terme local pour désigner une taverne, mais elle n'avait jamais
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entendu parler d'un banjo. ´qu'est-ce que c'est?
demanda-t-elle.
- Je crois que c'est un instrument africain. Pas aussi mélodieux qu'un violon, mais plus rythmé.
- Comment avez-vous entendu parler de cet homme ? quand êtes-vous allé à Fredericksburg ? ª
Une ombre passa sur le visage de Mack. ´J'y suis allé une fois un dimanche.
- Pour quoi faire ?
- Pour chercher Cora.
- L'avez-vous trouvée ?
- Non.
- Je suis désolée. ª
II haussa les épaules. ´ Bah, tout le monde a perdu quelqu'un.ª Il se détourna, l'air triste.
Elle aurait voulu le prendre dans ses bras pour le réconforter, mais elle se retint. Elle avait beau être enceinte, elle ne pouvait pas étreindre un autre homme que son mari. Elle reprit d'un ton plein d'entrain: ´Vous croyez qu'on pourrait persuader Pepper Jones de venir jouer ici ?
- J'en suis s˚r. Je l'ai vu jouer dans le quartier des esclaves sur la plantation Thumson. ª
Lizzie était intriguée. ´que faisiez-vous là-bas?
- J'étais en visite.
- Je n'aurais jamais cru que les esclaves
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