Le pays de la liberté
l'intérieur.
Il entendit des bruits d'éclaboussure : elles déversaient de l'eau sur la planche pour tenter de le protéger davantage encore des flammes qu'il allait déchaîner. Puis l'une d'elles tapa trois fois sur le bois, pour annoncer qu'elles s'en allaient.
Il compta jusqu'à cent pour leur donner le temps de sortir de la galerie.
Puis, le cúur plein d'appréhension, il se mit à tirer sur la ficelle, entraînant la torche
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enflammée dans la mine, vers l'endroit o˘ il était allongé, dans un tunnel à moitié plein de gaz explosif.
Jay porta Lizzie jusqu'en haut des escaliers et la déposa dans la boue glacée à l'entrée du puits. ´ «a va ? demanda-t-il.
- Je suis si heureuse d'être de nouveau à l'air libre, dit-elle, éperdue de reconnaissance. Je ne saurais assez vous remercier de m'avoir portée.
Vous devez être épuisé.
- Vous pesez fichtrement moins qu'un corf plein de charbonª, dit-il en souriant.
Il lui parlait comme si elle ne pesait rien, mais il avait quand même l'air un peu mal assuré sur ses jambes tandis qu'ils s'éloignaient du puits.
L'aube était encore lointaine et il s'était mis à neiger: non pas doucement, mais à gros flocons glacés que le vent soufflait dans les yeux de Lizzie. Les derniers mineurs et porteuses sortaient du puits : Lizzie remarqua la jeune femme dont on avait dimanche baptisé l'enfant: n'était-ce pas Jen qu'elle s'appelait? Son enfant n'avait guère plus d'une semaine et la pauvre femme portait un corf plein. Elle aurait certainement d˚ prendre un peu de repos après avoir accouché. Elle vida le contenu du panier sur le tas de charbon et tendit au contrôleur une tablette en bois : sans doute, se dit Lizzie, les utilisait-on pour calculer les gages à la fin de la semaine. Peut-être Jen avait-elle trop besoin d'argent pour prendre un congé.
Lizzie continuait à l'observer car la jeune femme semblait désemparée.
Brandissant sa chandelle au-dessus de sa tête, elle courait parmi le groupe de soixante-dix ou quatre-vingts mineurs, sous la neige qui tombait en criant : ´ Wullie ! Wullie ! ª Elle semblait chercher un enfant. Elle retrouva son mari et eut avec lui une conversation brève et affolée. Puis elle hurla Ńon ! ª, se précipita vers l'entrée du puits et redescendit l'escalier.
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Le mari s'approcha de l'entrée du puits, puis revint sur ses pas et promena autour de lui un regard affolé. ´ qu'est-ce qu'il se passe ? ª lui demanda Lizzie.
Il répondit d'une voix tremblante: Ón n'arrive pas à retrouver notre garçon. Elle croit qu'il est encore en bas.
- Oh non ! ª Lizzie regarda par-dessus le rebord. Elle apercevait une sorte de torche qui br˚lait au fond du puits. Mais au même instant, elle la vit bouger et disparaître à l'intérieur de la galerie.
Mack avait déjà fait cela à trois occasions, mais aujourd'hui c'était beaucoup plus terrifiant. Les autres fois, la concentration de grisou était bien moins forte : c'était une légère infiltration plutôt qu'une soudaine accumulation. Son père, bien s˚r, avait d˚ affronter d'importants coups de grisou ; quand, le samedi soir, il faisait sa toilette devant le feu, son corps était couvert de traces d'anciennes br˚lures.
Mack frissonna sous sa couverture trempée d'eau glacée. Il enroulait régulièrement la ficelle, tirant la torche enflammée de plus en plus près de lui et de la nappe de gaz : il s'efforçait de calmer ses craintes en pensant à Annie. Ils avaient grandi ensemble et avaient toujours eu de la tendresse l'un pour l'autre. Annie avait une nature un peu sauvage et un corps musclé. Jamais elle ne l'avait embrassé en public auparavant, mais elle l'avait souvent fait en cachette. Chacun avait timidement exploré le corps de l'autre et ils s'étaient appris mutuellement à se donner du plaisir. Ils avaient essayé toutes sortes de choses ensemble, ne s'arrêtant qu'au bord de ce qu'Annie appelait ´faire des bêtisesª. Et ils avaient bien failli aller jusque-là...
Mais c'était inutile : il se sentait toujours terrifié. Pour se calmer, il essaya de réfléchir avec calme à la façon dont le gaz se déplaçait et s'amassait. Sa tranchée était à un point bas de la galerie : la concentration à cet endroit devait être moins forte. Mais il n'y 92
avait aucun moyen précis de l'estimer avant que le gaz s'enflamme. Il redoutait la douleur et il savait que les br˚lures faisaient très mal. Il n'avait pas vraiment peur de mourir. Il
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