Le pays des grottes sacrées
savait que compter pouvait être
plus complexe et plus fort que les simples mots à compter si on comprenait la
façon de le faire. La Première nota avec satisfaction le regain d’attention de
son acolyte.
— On peut utiliser ses
mains, dit la femme. Avec la droite, on compte sur ses doigts en prononçant les
mots jusqu’à cinq.
Elle ferma le poing, leva chacun
de ses doigts l’un après l’autre en commençant par le pouce.
— On compte ensuite sur sa
main gauche jusqu’à dix et on ne peut pas aller plus loin. Mais au lieu
d’utiliser la main gauche pour compter une deuxième série de cinq, on peut
plier un doigt, le pouce, pour retenir la première série de cinq…
Elle leva la main gauche, la
paume vers le bas.
— Puis on compte de nouveau
sur la main droite et on replie le deuxième doigt de la main gauche pour
retenir.
Elle en fit la démonstration, de
sorte qu’elle avait tous les doigts tendus sauf l’index et le pouce de la main
gauche.
— Cela veut dire dix. Si
j’abaisse le doigt suivant, quinze. Vingt avec le suivant encore et vingt-cinq
avec le dernier.
Ayla était stupéfaite. Elle avait
immédiatement compris l’idée, pourtant plus ardue que les mots à compter que
Jondalar lui avait appris. Elle se rappela la première fois qu’elle avait
compté. C’était Creb, le Mog-ur du Clan, qui le lui avait montré mais il ne
pouvait guère aller plus loin que dix. Elle était encore une petite fille quand
il avait placé chacun de ses doigts sur cinq pierres différentes, puis – comme
on lui avait amputé un bras sous le coude – il avait répété
l’opération en imaginant que c’était sa main manquante. Avec de gros efforts, il
parvenait à forcer son imagination pour compter jusqu’à vingt, et il avait été
abasourdi et bouleversé quand elle était allée aisément jusqu’à vingt-cinq.
Elle n’utilisait pas des mots
comme Jondalar. Elle montrait vingt-cinq à Creb en plaçant cinq fois ses cinq
doigts sur cinq cailloux. Il lui avait recommandé de n’en parler à personne. Il
savait qu’elle n’était pas semblable aux membres du Clan mais il n’avait saisi
qu’à ce moment-là l’ampleur de la différence et devinait qu’elle les
inquiéterait, en particulier Brun et les hommes, peut-être assez pour qu’ils la
chassent du foyer.
Pour la plupart des membres du
Clan, compter se réduisait à un, deux, trois et beaucoup, avec toutefois des
gradations dans « beaucoup », et d’autres façons d’estimer des quantités.
Par exemple, ils n’avaient pas de mots à compter pour les années de vie d’un
enfant mais ils savaient qu’un enfant dans son année de naissance était plus
jeune qu’un enfant dans son année d’apprentissage de la marche ou dans son
année de sevrage. D’ailleurs, Brun n’avait pas besoin de compter les membres du
Clan. Il connaissait le nom de chacun et pouvait, d’un coup d’œil, constater
s’il manquait quelqu’un et savoir qui c’était. Les autres partageaient cette
aptitude à des degrés divers.
Ayla n’avait donc parlé à
personne de sa capacité à compter mais ne l’avait pas oubliée. Elle l’avait
utilisée pour elle, en particulier quand elle vivait seule dans sa vallée. Elle
avait consigné le passage du temps en gravant chaque jour une marque sur un
bâton. Elle savait combien de saisons et d’années elle avait passées dans la
vallée sans même avoir de mots à compter, mais, quand Jondalar la rencontra, il
se montra capable de compter les marques sur ses bâtons et de lui dire avec des
mots combien de temps elle y avait vécu. Pour elle, cela avait été comme de la
magie. Maintenant qu’elle comprenait comment il avait fait, elle brûlait d’en
savoir davantage.
— Il y a des façons de
compter plus loin encore, mais c’est compliqué, dit la femme de la Deuxième
Caverne. Comme beaucoup de choses associées à la Zelandonia, ajouta-t-elle en
souriant.
Ceux qui l’écoutaient lui
rendirent son sourire.
— La plupart des signes ont
plus d’un sens, poursuivit-elle. Les deux mains peuvent vouloir dire dix ou
vingt-cinq mais il est possible de préciser quand on en parle : pour dix,
on tourne les paumes vers l’extérieur, pour vingt-cinq on les tourne vers soi.
Dans cette position, on peut compter plus loin, mais cette fois on utilise la
main gauche et on se sert de la droite pour retenir.
Elle fit de nouveau une
démonstration et les acolytes l’imitèrent.
— Avec
Weitere Kostenlose Bücher