Le pays des grottes sacrées
loin que remontait la mémoire, le Chant de la Mère avait
toujours été le même, si l’on exceptait d’infimes variations. Pourquoi était-il
différent en ce jour ? La signification des mots n’avait pas encore
pénétré les consciences. Il était déjà assez troublant que de nouvelles paroles
soient ajoutées, que le Chant de la Mère ait été modifié.
Et soudain le dernier feu
s’éteignit. Il faisait si noir que personne n’osait bouger.
— Qu’est-ce que cela veut
dire ? lança une voix.
— Oui, qu’est-ce que cela
signifie ? fit une autre, en écho.
Jondalar, lui, ne s’interrogeait
pas. Il savait.
Ainsi, c’est donc vrai,
songeait-il. Tout ce qu’Ayla a toujours dit est vrai.
Alors même qu’il avait eu tout le
temps nécessaire pour y penser, il avait du mal à envisager ce que cela
impliquait. Ayla lui avait toujours dit que Jonayla était sa fille, sa fille à
lui, l’enfant de sa chair et non de son seul esprit. Elle avait été conçue à la
suite de ses actes. Non par l’intervention de quelque esprit informe qu’il
était incapable de voir, mélangé par la Mère d’une façon assez vague à
l’intérieur d’Ayla avec son esprit à elle. Il y était pour quelque chose. Au
même titre qu’Ayla. Il avait transmis à Ayla son essence par l’intermédiaire de
son organe, sa virilité, et celle-ci s’était combinée à quelque chose à
l’intérieur d’Ayla pour qu’une vie commence.
Cela ne se passait pas chaque
fois ainsi. Il lui avait transmis beaucoup de son essence. Peut-être en
fallait-il de grandes quantités. Ayla avait toujours dit qu’elle n’était pas
certaine de la façon exacte dont cela fonctionnait, mais qu’il fallait qu’un
homme et une femme s’unissent pour qu’une nouvelle vie commence. À cette fin,
la Mère avait donné à Ses enfants le Don des Plaisirs. Mettre en train une
nouvelle vie ne devait-il pas être un Plaisir ? Était-ce pour cette raison
que le désir de relâcher son essence dans le corps d’une femme était si
puissant ? Parce que la Mère voulait que Ses enfants fabriquent leurs
propres enfants ?
Il eut soudain le sentiment que
son corps prenait une signification nouvelle, comme si, en quelque sorte, il
prenait vie tout à coup. Les hommes étaient indispensables. Il était
indispensable ! Sans lui il n’y aurait pas eu de Jonayla. Si cela avait
été un autre homme, elle ne serait pas Jonayla. Elle était qui elle était grâce
à eux deux, Ayla et lui. Sans les hommes, il ne pouvait y avoir de nouvelles
vies.
Aux bords de la zone
cérémonielle, on alluma des torches. Les spectateurs commencèrent à se lever,
discutant par petits groupes. On découvrit des plateaux chargés de mets divers,
que l’on disposa çà et là. Chaque Caverne, ou chaque groupe de Cavernes liées
entre elles, avait son emplacement pour festoyer, de sorte que personne n’avait
à attendre trop longtemps pour se nourrir. À l’exception des enfants, la
plupart des membres de l’assistance n’avaient pas mangé grand-chose de la
journée, certains parce qu’ils avaient été trop occupés, d’autres parce qu’ils
souhaitaient se réserver pour le festin, la plupart enfin parce que, même si
cela n’avait rien d’impératif, ils considéraient qu’il était plus approprié de
manger frugalement les jours de fête avant le grand banquet.
Les gens discutaient tout en se
dirigeant vers les plateaux de nourriture, s’interpellant, toujours en proie à
un léger malaise.
— Tu viens, Jondalar ?
demanda Joharran.
Son frère n’entendit pas :
il était si perdu dans ses pensées que la foule autour de lui n’existait pas.
— Jondalar ! répéta
Joharran en le secouant par l’épaule.
— Quoi ? fit le jeune
homme.
— Viens donc, on est en
train de servir la nourriture.
— Oh, fit son cadet en se
relevant, toujours agité par des pensées tumultueuses.
— Qu’est-ce que cela peut
bien vouloir dire, à ton avis ? demanda Joharran tandis qu’ils se
dirigeaient vers un endroit où étaient disposés des mets.
— Tu as vu où est allée
Ayla ? l’interrogea Jondalar, oublieux de tout, sinon de ses propres
préoccupations.
— Je ne l’ai pas vue, mais
j’imagine qu’elle nous rejoindra sous peu. Quelle cérémonie extraordinaire… Il
a fallu beaucoup de temps et d’efforts pour l’organiser, et même les membres de
la Zelandonia ont besoin de se détendre et de s’alimenter de temps à
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