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Le petit homme de l'Opéra

Le petit homme de l'Opéra

Titel: Le petit homme de l'Opéra Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Claude Izner
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de ces apartés impromptus.
    Son unique recours à l'encontre de ces chatteries était l'amende imposée à celles qui riaient trop fort, sanction de mijaurées dont aucune n'égalerait jamais Mlle Subra ou Mlle Hirsch.
    — Cette Aglaé m'a coûté quinze cents francs à Noël, souffla à son sosie un vieillard décoré de la Légion d'honneur.
    Melchior Chalumeau haussa les épaules et se rapprocha de la scène.
    Tout à coup, un événement stupéfiant se produisit. En plein élan, Olga Vologda s'effondra en une posture bouffonne et ne se releva pas. Le flottement causé par cet incident fut si bref que le public crut à une péripétie du ballet. Les danseurs réagirent instantanément et escamotèrent la ballerine tandis que Swanilda et Franz improvisaient un pas de deux endiablé. Seuls quelques mélomanes qui suivaient l'argument sur une partition s'étonnèrent, mais déjà la doublure de Coppélia, ravie de l'aubaine, se précipitait dans la ronde.
    Melchior Chalumeau entrevit le corps déjeté d'Olga et sentit monter en lui une jubilation impossible à dissimuler. S'enfuir, vite ! Où ? Les toits, bien sûr.
    Il titubait. Il devait trouver un exutoire à cet excédent d'allégresse. Il se mit à fredonner :
    Il était un p'tit homme
    Qui s'appelait Guilleri
    Carabi...
    À cinquante mètres d'altitude, le petit homme déambulait sur une terrasse surplombant la ville. Il régnait sur l'avenue de l'Opéra bordée de lampadaires électriques et de gardes municipaux à cheval, il régnait sur Paris, sur le monde, sur l'univers. Sa taille réduite n'entravait en rien sa puissance.
    — Mon Dieu omnipotent, vous m'avez gâté ! J'attendais ce moment avec ma foi coutumière, seulement avouez qu'il y avait de quoi douter ! Et là, vlan ! Vous me l'avez expédiée au tapis comme une crêpe, cette malfaisante ! Bravissimo !
    Il gambada jusqu'à la lisière de l'attique où, à chaque extrémité, se dressaient les imposants groupes de l'Harmonie et de la Poésie. La coupole de l'Opéra, dominée d'un lanterneau doré, lui promettait un couronnement royal dans le royaume de l'au-delà, où l'on pardonnerait les peccadilles dont il se serait rendu coupable ici-bas. Il claqua des talons, salua, lilliputien devenu surhomme, et proclama :
    — Vous êtes les marionnettes, je suis le marionnettiste !

CHAPITRE V
    Jeudi 1° avril, soirée
    — Une poupée de chiffon, voilà ce que je suis ! Ah ! Mon pouls ralentit ! Je n'ai plus qu'à disparaître !
    Perdue dans un lit gonflé d'énormes édredons, Olga Vologda tendait un visage livide vers Eudoxie Maxismova.
    — Allons, bois ta tisane et cesse de délirer. Tu vas guérir, le médecin est formel, il te faut du repos, dors.
    — Je périclite, je me fane, je suis seule, abandonnée de tous !
    Eudoxie eut un mouvement d'humeur.
    — Ça suffit, Olga, je suis là, moi.
    — Oh, toi, c'est différent ! Quand je pense qu'Amédée Rozel batifole à Biarritz avec cette gourgandine d'Aphrodite d'Enghien et qu'il a osé m'écrire qu'il veille sa grand-mère à l'agonie ! L'ère de la chevalerie est bien morte ! Mon unique consolation, c'est qu'il pleut à seaux sur la côte atlantique !
    — Mais tais-toi donc ! Tu t'énerves et tu t'épuises. Bois.
    — Aide-moi à me lever, je suis nauséeuse.
    Eudoxie soutint Olga jusqu'au cabinet de toilette et s'assit dans le salon d'apparat grignoté par l'ombre crépusculaire. Elle frissonna, mal à l'aise au milieu de cet ameublement ostentatoire. Amédée Rozel avait abusé du palissandre sculpté, des marbres italiens, de la porcelaine de Saxe et des négrillons couronnés de becs de gaz en verre dépoli. Le pourpre et le jaune paille s'efforçaient en pure perte de repousser les assauts du vert agressif d'une marée végétale répartie dans une profusion de pots et de jardinières. Une harpe dont personne ne savait jouer et deux tableaux monumentaux, représentant l'un les éléphants d'Hannibal, l'autre le triomphe de Jules César sur le Forum romain, complétaient le décor. Eudoxie alluma une lampe Rochester et tira les doubles rideaux. Elle tombait de fatigue, ses yeux rougis étaient bordés de cernes sombres, elle n'aspirait qu'à une chose : dormir.
    Olga réapparut, pâle et bancale, les doigts crispés sur les pans de sa robe d'intérieur rehaussée de zibeline. Elle s'effondra sur une méridienne.
    « Ses pupilles sont dilatées, a-elle forcé sur la drogue ? » pensa Eudoxie.
    Malgré la pénombre, elle pouvait voir qu'Olga

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