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Le petit homme de l'Opéra

Le petit homme de l'Opéra

Titel: Le petit homme de l'Opéra Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Claude Izner
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rassemblement de fiacres. Un sifflement impérieux ramena le bouledogue à son maître, qui l'entraîna au plus vite rue Hailé.
    Les voitures stationnaient quelques minutes à peine, le temps d'éjecter leurs occupants, dames à falbalas et messieurs à huit-reflets. Agglutinés en un essaim bourdonnant, ils paraissaient déterminés à s'enraciner dans le trottoir, se bousculaient, protestaient et s'interpellaient à voix basse, effarouchés de constituer une entrave à l'ordre établi. Les plus timorés s'attendaient à ce que la maréchaussée se manifeste. Les plus audacieux profitaient de l'obscurité pour frôler les rondeurs inconnues.
    L'entrée du numéro 92 s'ouvrit largement, et trois escogriffes à tignasse hirsute émirent des chuintements intimant le silence. Leurs mains dressées, munies de lanternes, enjoignirent les mélomanes à s'aligner en file indienne.
    Victor tendit son carton d'invitation. Pourvus d'une bougie, Joseph et lui longèrent le magasin du service des carrières, franchirent une porte encastrée au milieu d'un mur et, ballottés parmi les amateurs d'émotions fortes, entamèrent une descente ponctuée de rires nerveux et de cris étouffés. L'escalier en colimaçon s'enfonçait à quatre-vingts pieds sous le niveau du sol. Un petit homme pas plus haut qu'un enfant de dix ans, vêtu d'un pourpoint vert pomme et d'un pantalon à carreaux, guidait les nouveaux venus en fredonnant :
    Zig et zig et zag, la mort en cadence
    Frappant une tombe avec son talon...
    La troupe s'engagea dans une galerie tortueuse aux plafonds bas consolidés de ciment. Elle déboucha dans une vaste salle tapissée d'ossements. Ceux qui n'avaient encore jamais contemplé la rotonde des Tibias laissèrent fuser des exclamations.
    — Quelle horreur ! s'écria un critique musical. On a l'impression de piétiner dans un cimetière !
    — Tout juste, approuva un éditeur de partitions. C'est ici que sont recueillies les dépouilles provenant des nécropoles parisiennes depuis 1785. On n'en découvre qu'une partie. À l'est, vous toucherez au Jardin des Plantes, à l'ouest, vous irez vous cogner à l'ancienne barrière de Vaugirard.
    — J'en déduis qu'il y a beaucoup plus de défunts que de vivants, bougonna Victor.
    — Des millions de Parisiens s'empilent sur une superficie de onze mille mètres carrés et une épaisseur d'un mètre cinquante.
    — C'est très artistique, constata une vieille dame assidue des concerts Colonne et Lamoureux. Voyez ces carcasses symétriquement disposées. Les ouvriers ont dessiné des croix avec les os les plus longs.
    — Ces crânes me flanquent le tournis, grommela Joseph, on jurerait qu'ils nous observent de leurs orbites creuses.
    Victor frissonna, affolé à l'idée qu'un jour ne resteraient de lui que des vestiges de cet acabit.
    La mort à minuit joue un air de danse
    Zig et zig et zag sur son violon,
    piaillait le petit homme qui marchait en éclaireur. — Que nous chantez-vous là ? chevrota la vieille dame.
    — Ce sont des vers de M. Henri Cazalis sur lesquels Camille Saint-Saëns a composé un poème symphonique, La Danse macabre . Vous allez bientôt vous en régaler.
    Il reprit de plus belle :
    Zig et zig et zag, chacun se trémousse,
    On entend claquer les os des danseurs...
    ARRÊTE ! C'EST ICI L'EMPIRE DE LA MORT
    était-il écrit au seuil de la crypte de la Passion, reconvertie en salon de réception. Sur des piliers de pierre de taille avaient été fixées des appliques où fumaient des chandelles. Des chaises de paille en rangées parallèles précédaient une estrade réservée aux musiciens.
    Joseph s'éloigna et se planta devant une inscription :
    Ossements du cimetière des Innocents
    déposés en avril 1786 et juillet 1802.
    Il se contraignit à griffonner ces mots dans son calepin, cela alimenterait l'un de ses futurs romans. Le petit personnage qui jouait les cicérones s'approcha de nous.
    — Que gribouillez-vous ?
    — Je m'instruis. Je suis auteur de feuilletons. Avez-vous lu La Vengeance du lémure ?
    — J'ai suffisamment de tintouin à régler. Mais j'en sais, des histoires !.Si je m'attelais à la tâche, je noircirais des cahiers, j'ai une sensibilité d'écorché vif. Logique, quand on est hors norme. On me traite de gnome, j'ai beau être plus rabougri que Lautrec, je suis bien proportionné, moi ! Vous aussi vous souffrez d'un vice de conformation, remarquez, avec un costume rembourré votre bosse passe presque inaperçue. Ça vous élargit

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