Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Le petit homme de l'Opéra

Le petit homme de l'Opéra

Titel: Le petit homme de l'Opéra Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Claude Izner
Vom Netzwerk:
quarante-cinq minutes maximum, compris ?
    — Nous ne serons jamais rentrés, quelle excuse allez-vous inventer ? lui souffla Victor.
    — Oh, les problèmes ne manquent pas à Paris, piétons écrasés, tombereaux de choux éventrés sur la chaussée et tutti quanti ! Déguerpissons, décréta Joseph.
    Voilà pourquoi ils se délectaient de l'excellent repas servi par un garçon à tablier blanc au Restaurant de la Porte Jaune . Bigorneaux, huîtres de Marennes arrosées de chablis, gigot et haricots escortés d'un pichet de gouleyant vin rouge, œufs à la neige, café.
    — Cela n'égale pas Prunier ou le Café de Paris , mais ça sustente, admit Victor.
    Il alloua un généreux pourboire au garçon à qui il demanda son nom.
    — Nicéphore Beuzy. On dit Nick, répondit-il avec un léger bégaiement qui faisait croire qu'il marchait sur sa langue.
    — Mon cher Nick, mon collègue et moi sommes journalistes et nous intéressons à la noyade qui s'est produite ici le 20 mars dernier. Y avez-vous assisté ?
    Nick se gratta l'occiput, ce qui provoqua la chute de quelques pellicules et une lueur lente à s'allumer au fond de ses prunelles.
    — Si c'est du même type qu'on cause, je n'peux point en raconter des tonnes, vu que j'n'étais pas là rapport à ma belle-mère qui nous a flanqué une trouille bleue en dégringolant d'un escabeau. Mais Raoul m'a révélé un truc marrant.
    — Raoul ? Un de vos collègues ?
    — Ouais, Raoul Godron, il est en congé jusqu'à demain. Il paraît que quelques instants avant l'embarquement du cal... du cla... du musicien, il lui a remis un cochon en pain d'épice enveloppé de papier de soie, avec un nom marqué dessus, Tony. Quand le cal... le musicien l'a déballé, y avait une lettre qu'il a lue tout haut : « Mange-moi du museau à la queue, tu ne t'en porteras que mieux. » Raoul a trouvé cet envoi tellement chouette qu'il l'a noté pour le resservir à sa bonne amie
    — Et il s'est exécuté ?
    — Qui ? Raoul ?
    — Non, le clarinettiste.
    — Ben... Si s'exécuter, c'est kif-kif que manger, oui et non. Il en a avalé une moitié et fourré le reste dans sa veste.
    — Qui avait déposé ce présent ?
    — Personne, c'était sur le comptoir de la salle : Pour le clari...
    — Clarinettiste.
    — Oui.
    — Et les mandarins qu'on a retirés du lac ? interrogea Joseph.
    — Si par mandarins vous dénommez non des fonctionnaires de l'empire chinois mais de vulgaires canetons, adressez-vous au père Asticot, c'est celui qu'est installé là-bas sur son pliant avec son harnachement pour pêcher le mérou.
    Jugeant qu'ils ne tireraient plus rien du garçon, ils l'abandonnèrent à une famille nombreuse qu'il accueillit avec force courbettes en leur prodiguant du « Honorée, madame Robichon » par-ci, « Honoré, monsieur Robichon » par-là, et « Comment vont ces jeunes messieurs et ces jeunes demoiselles Robichon ? »
    Un consommateur solitaire, chapeau rabattu sur le front, prit place à une table voisine, commanda une prune à l'eau-de-vie et se fit indiquer les lavabos.
    Le père Asticot se déclara navré que des copains aient péri de si triste façon.
    — C'était un grand copain à vous, le clarinettiste ? s'enquit Joseph.
    — Lui ? Inconnu au bataillon. Un imbécile de moins sur cette terre, a-t-on idée de gesticuler pire que des vauriens dans une coque de noix ? Non, la pitié, c'est les canards mandarins. On leur jetait du pain rassis chaque dimanche, mémère et moi. Fallait les voir frétiller du troufignon et gober les miettes ! Maintenant, ils volent derrière la stratosphère. On leur avait attribué des noms : Frizik et Bobom.
    — Quand est-ce arrivé ?
    — Le dimanche 21, une date gravée dans ma caboche, on fêtait la communion de mon aînée, elle louche, c'est de naissance. Elle a failli renverser les ciboires, le curé, et l'hostie a roulé sous les bancs. On s'est tenu les côtes. Après le repas, on s'est offert un tour en barque et ma cadette s'est mise à hurler. Ils étaient là, le ventre en l'air, à un mètre de l'endroit où l'abruti s'était noyé la veille. Une vacherie de coup du sort. Pauvres Frizik et Bobom !
    — Moi, j'qualifie ça de malveillance, intervint le loueur de bateau à l'affût de la conversation. Si ça se trouve, c'est à moi qu'on en veut, parce que mon activité est lucrative. Normalement, père Asticot, la pèche est interdite, mais bon, je ferme les yeux, c'n'est pas pour une godasse et deux épinoches...
    —

Weitere Kostenlose Bücher