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Le petit homme de l'Opéra

Le petit homme de l'Opéra

Titel: Le petit homme de l'Opéra Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Claude Izner
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méthode consiste à visiter tous les rades environnants.
    —Qu'entendez-vous par « bourgeois » ?
    — Pour le cocher de fiacre, c'est un piéton ; pour le militaire, un pékin ; pour le rapin, un imbécile qui ne pige que couic à la peinture et troque une liasse de billets en échange d'un coucher de soleil sur le lac du Bourget ; pour le paysan, c'est le propriétaire de la métairie où il trime ; pour l'ouvrier, c'est le patron. — Et pour vous, Joseph ?
    — Pour moi, ce sont les clients qui achètent des livres qu'ils ne liront jamais simplement parce qu'on en parle en termes élogieux dans la presse.
    — Et moi, suis-je un bourgeois ?
    — Vous, vous êtes un opticien qui a mal tourné 25 .
    — En ce cas, j'ai l’œil américain, je vous rappelle que Mlle Vologda a pris le large.
    — Vous la soupçonnez ?
    — Et comment !
    Les box du Temps perdu étaient tous occupés. La patronne maniait la verseuse de café, au-dessus de tasses que Lulu, la serveuse, garnissait de sucre avant de jeter sur le carrelage de la paille fraîche vite souillée par les souliers boueux.
     
    — Je vous préviens, messieurs, je ne viens pas vous quémander des recommandations sur les lectures à favoriser ou à écarter. Je sais pertinemment ce que je veux.
    L'homme qui venait de pousser la porte de la librairie Elzévir avait la soixantaine. Épais, trapu, le teint fleuri. Des côtelettes poivre et sel, une imposante moustache d'officier de l'armée des Indes et un costume à carreaux qui doublaient sa corpulence.
    — Messieurs, vous avez affaire à Alistair Paletock, citoyen d'York, Grande-Bretagne, spécialiste de l'insalubrité citadine. Je ne suis pas là par l'opération du Saint-Esprit, dame Évangéline Bird, la voyante émérite de passage à Paris, m'a prédit que je mettrais la main sur la perle rare qui me fait défaut en me référant à une librairie qui aurait pour enseigne le nom d'un caractère d'imprimerie : Elzévir. Ce ne peut être que vous ! Jusqu'à ma consultation chez dame Évangéline Bird, j'ai usé ma patience chez moult de vos confrères, je me permettrai donc de tester vos connaissances littéraires afin d'éviter de perdre mon temps. Je ne me fais pas d'illusions, je doute fort que vous sachiez qui a écrit :
    « ... D'innombrables cités s'élevèrent, énormes et fumeuses. Les vertes feuilles se recroquevillèrent devant la chaude haleine des fourneaux. Le beau visage de la nature fut déformé comme par les ravages de quelque dégoûtante maladie... »
    Joseph, ébahi, se tapota discrètement la tempe de l'index, tandis que Victor affectait une attitude de modestie étudiée.
    — Il me semble, dit-il, qu'il s'agit d'un dialogue extrait de l'ouvrage d'Edgar Allan Poe intitulé Colloque entre Monos et Una , édité en 1841. Je l'ai lu lorsque j'étais enfant.
    — Monsieur, congratulations, je le veux quel qu'en soit le prix.
    — Hélas, c'est un trésor. Laissez-moi votre adresse et quand il sera en ma possession, je vous le ferai parvenir. Je peux vous proposer un texte de Jean Rameau si cela...
    — Jean Rameau ? Le titre ?
    — C'est tiré de Fantasmagories , paru il y a dix ans : Un empoisonnement au XXI° siècle.
    — Vous l'avez ?
    — Joseph, rayon science, lettre R.
    Alistair Paletock s'empara du volume et lut à voix haute :
    « C'est vers l'an 1934 que les Français – lentement empoisonnés par leurs fournisseurs de comestibles et par les exhalaisons nauséabondes qui, après avoir infecté Paris, se répandirent sur la France entière... »
    — Je le prends, monsieur, je le prends, c'est ce que je recherche. Auriez-vous des sujets similaires ?
    — Vous trouverez peut-être votre bonheur chez Albert Robida, quoiqu'il traite surtout de l'avenir sous une forme humoristique. Je vous conseillerais Le XX° siècle , un ouvrage où il imagine la vie quotidienne de 1952 à 1959.
    — Ajoutez-le à ma liste. Voulez-vous envoyer le paquet 12, boulevard Malesherbes ? On paiera à la maison. Dès que vous aurez acquis le Poe, vous me le délivrerez, n'est-ce pas ? lança-t-il avant de s'éclipser.
    — Cochon qui s'en dédit, grommela Victor.
    — Ben vous ! se récria Joseph, vous êtes un obsédé du verrat !
    — Eh oui, ces épisodes de cochon en pain d'épice me turlupinent. Et si Eudoxie avait raison ? Si on y avait incorporé un produit toxique, une sorte de somnifère qui annihile les réflexes ?
    — Quel culot ! C'est moi qui ai levé ce lièvre ! Ça fait des jours que je

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