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Le petit homme de l'Opéra

Le petit homme de l'Opéra

Titel: Le petit homme de l'Opéra Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Claude Izner
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lorsqu'elle était enfant, elle oublia son tourment et fut submergée de tendresse pour sa petite rouquine.
    Elle s'allongea près d'elle, repoussa Kochka qui gronda en frisant les vibrisses.
    — Maman, c'est toi ?
    — Je m'inquiétais. Comment te sens-tu ?
    Tasha se redressa en riant.
    — Je suis une baleine qui rêve de valser mais ne peut que danser la bourrée. Tu veux du thé ?
    — Laisse, je m'en occupe. J'ai trouvé un pain natté aux raisins et des gâteaux au fromage.
    — Ma ligne va en pâtir. Tu sais qui me manque le plus ? C'est Ruhléa. Hop ! Un coup de baguette magique et nous somme réunis, ma sœur, son mari, leur fils Marcus que je ne connais que par photos. As-tu des nouvelles de papa ?
    — Pinkus monte en grade. Il a ouvert une salle de cinématographe avec son associé irlandais dans West Broadway, je n'ai aucune idée où ça se situe, mais il paraît que c'est un quartier rentable. La salle contient cent cinquante places. Ils ont pris un bail de cinq ans, engagé une pianiste qui adapte sa musique aux images projetées et débauché deux opérateurs de chez M. Edison. Ils font le plein chaque jour. Ton père est en train de devenir un capitaliste averti, quelle étrange destinée !
    — Maman, es-tu heureuse ?
    — Justement, je... Oh, cela me gêne tant !
    — Qu'est-ce qui te tracasse ? Kenji et toi ? Oh, mamotchka, en dépit de vos précautions de conspirateurs, personne n'est dupe et tout le monde s'en réjouit.
    — Mon Dieu, je vais sur cinquante ans, je suis grand-mère, russe, juive, il est japonais...
    — Ah, non ! Tu ne vas pas te laisser piéger par cette théorie de la race prônée par Drumont et ses sicaires ! Tu l'aimes, il t'aime, c'est très simple. Le qu'en-dira-t-on ? Quelle importance ? Pensez à vous. Et ce thé, ce pain natté, ces gâteaux au fromage ?

CHAPITRE XII
    Lundi 12 avril
    Le ciel sombre et glacé qui pesait sur Paris depuis l'aube avait tenu ses promesses : il neigeait.
    Victor avait renoncé à la bicyclette et ce fut de l'impériale d'un omnibus bondé qu'il aperçut, semblable à une pièce montée, le palais de la Bourse. Il descendit entre la vespasienne et les voitures des remisiers. Lesté d'un lointain en-cas, il avait faim. La cloche de l'édifice résonna. Il s'arrêta devant le péristyle du temple grec dont l'architecture lui parut plus rébarbative que jamais.
    — Le veau d'or est toujours debout ! Je ferais mieux de me taire, j'ai réalisé sans complexes le portefeuille d'obligations léguées par M. mon père, cela m'a permis d'acquérir l'appartement de la rue Fontaine. Tiens, je radote à voix haute, grommela-t-il, mortifié des regards moqueurs que lui lançait une grappe de jeunes fleuristes.
    Il erra dans le marché des résidus, fief des pieds humides, en majorité des femmes munies de cabas. Postées à l'intérieur des grilles, elles raflaient pour quelques francs des paquets d'actions tombées en décrépitude. Autrefois âprement disputés, ces titres valaient à présent à peine leur poids de papier, ce qui n'empêchait pas qu'ils fussent fort prisés de certains négociants ayant prévu de déposer leur bilan et de justifier ainsi leur pseudo-faillite. Cette comédie de l’honnête homme engendrait en général des résultats satisfaisants.
    Victor observa les allées et venues et songea qu’à l'instar des bourgeois retirés du commerce, des militaires, des politiciens à la retraite, des petits crevés désœuvrés, ces hommes allaient à la bourse comme ils se seraient rendus au cirque, au théâtre ou aux courses. Ils se donnaient des airs, tétaient des cigares discutaient de la baisse du Turban 26 , de la bonne tenue de la baronne 27 , de la hausse du Bateau 28 .
    Les placements ! Nul journal, nul magazine, même féminin, nul parlementaire ne manquait de célébrer leurs vertus. Les perturbateurs sociaux proclamaient qu'ils perpétuaient la sujétion de ceux qui leur sacrifiaient leurs économies. Les capitalistes n’avaient cure de leurs diatribes assassines et inondaient le marché de valeurs aussi attractives qu'une pâte dentifrice à l'arôme inédit. Les consonances exotiques de ces produits éveillaient des visions de voyages sans fatigue aboutissant à des gisements de pépites : Saragosse, Lombard, Rio-Tinto, Maritimes du Pacifique....
    Victor longea la colonnade rectangulaire qui évoquait le préau d'un cloître, détailla mes grisailles style Empire, considéra la meute tapegeuse entassée dans l'antre

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