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Le petit homme de l'Opéra

Le petit homme de l'Opéra

Titel: Le petit homme de l'Opéra Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Claude Izner
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de la finance. Il rôda près de la coulisse,rassemblement des intermédiaires qui spéculaient sur des valeurs non admises à la cotation officielle et provoquaient une commotion quotidienne sans que le garde républicain de service à shako et ceinturon ne frémit d'un poil. Les flocons glacés effleuraient de baisers mouillés les joues et le cou des agioteurs.
    Adossé à la balustrade, un vieillard au gibus vermoulu proposait des titres à deux sous empilés sur une chaise pliante Victor se pencha vers lui.
    — Vous souviendriez-vous d'un individu du nom de Pagès, Lambert Pagès ?
    — II ressemble à quoi, votre Pagès ? Grand, petit, maigre, corpulent ?
    — Je ne sais.
    — Qu'est-ce qui l'intéresse ?
    — Pas la moindre idée.
    — Alors, caltez ! Quand on piste un type dont on ignore les tendances, c'est qu'on est une mouche, et moi, les mouches j'les chasse !
    — Dites-moi où j'aurais une chance de le dénicher, ça vous rapportera une pièce.
    — Ben mon colon, en dehors de la salle d'opération, y a que les popotes et les bistrots qui fassent le plein, surtout par cette saleté de temps. Ah, si seulement j'avais un brasero, la vie aurait du piment !
    Victor regagna l'entrelacs de carrefours où débouchaient les rues Vivienne et Réaumur. Il se faufila parmi le flot des coupés et des limousines, dédaigna l'agence Havas cernée de modestes boutiques et accosta la rue du Quatre-Septembre afin de démarrer sa tournée par le restaurant Champeaux . Flanqué du Café des arcades et de la succursale des Tabacs ottomans, le vieil établissement attirait une clientèle cossue pressée d'avaler le plat du jour dès que les spéculations se déclenchaient.
    — Et un perdreau sur croustade, un ! Et un demi de saint-estèphe ! gueulaient les garçons.
    Des grouillots surgissaient, soumettaient aux consommateurs un bristol indiquant la situation des cours. Les habitués lâchaient leur fourchette, griffonnaient des chiffres, les jeunes gens repartaient au galop.
    Dans cette atmosphère enfiévrée, Victor eut un mal fou à obtenir des renseignements. Il apprit toutefois d'une des caissières, une brune un peu fanée, que M. Pagès avait changé de cantine.
    —Attendez-moi jusqu'à trois heures, c'est le moment où le jeu se termine, la salle se vide, j'ai droit à une pause, on se baguenaudera aux alentours à la recherche de votre connaissance.
    Victor se garda de prendre racine. Il visita en pure perte d'autres restaurants chics, Brébant , Noël , dépassa des bijouteries, des emballeurs, des bottiers, des tailleurs dont les enseignes voyantes mangeaient les façades des immeubles. Il revint sur ses pas, s'attaqua aux brasseries, aux tavernes, aux cafés fréquentés par les experts en placements mirifiques et les accapareurs sans ambitions, il explora les débits de vin, à l'angle des rues Réaumur et Notre-Dame-des-Victoires. Enfin, au fond d'un troquet enfumé pompeusement baptisé Les îles fortunées, le patron lui désigna un homme mince, à la crinière léonine.
    — Pagès, c'est le type aux cheveux carotte qui rigole, avec les trois gros, là-bas.
    Viotor s'installa à la table voisine et commanda une culotte de bœuf aux choux qu'il dévora d'un bel appétit en examinant furtivement Lambert Pagès. Ses yeux d'un bleu délavé, son teint coloré, sa tignasse l'apparentaient à un Britannique, impression vite démentie par ses intonations typiquement parisiennes, un brin vulgaires.
    L'oreille en coin, Victor découvrit que, depuis ses premiers pas dans la jungle des transactions, Lambert Pagès musardait aux abords de la rue Vivienne, histoire de peloter l'opinion publique et d'entretenir un contact avec le terrain politique. Ainsi que des milliers de ses congénères, il interprétait l'actualité à la lueur de sa position personnelle à la Bourse.
    — Écoutez ça, les amis, lança l'un des trois gros, le nez plongé dans un journal. « Les bénéfices produits en 1896 par le monopole du tabac sont de trois cent onze millions huit cent soixante-dix-huit francs ! »
    — Et ceux des allumettes suédoises ? jeta un collègue
    — Tu te figures me coincer ? Vingt millions cent quinze mille et neuf cent trente-trois francs !
    — Quelle prose ! s'exclama Lambert Pagès. Ce n'est pas sans raison qu'on compare la Bourse à un thermomètre ! Des chiffres, encore et toujours des chiffres, ça vous résume le monde ! Ces additions dégagent une certaine poésie.
    — Tant qu'elles ne se permutent

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