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Le petit homme de l'Opéra

Le petit homme de l'Opéra

Titel: Le petit homme de l'Opéra Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Claude Izner
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pas en soustractions dans nos portefeuilles, remarqua Victor qui recueillit des ricanements approbateurs.
    « Excusez-moi de me mêler à votre conversation, messieurs, poursuivit-il, je suis un néophyte, et la terminologie employée par les journalistes me déroute parfois. Être diplômé de Saint-Cyr est la condition sine qua non en matière de chroniques traitant de hausse ou de baisse ! J'aimerais miser, mais je ne suis qu'un libraire et je n'y entends rien.
    — Permettez, monsieur, intervint Lambert Pagès, un enfant de cinq ans assimilerait les principes élémentaires de cette activité. Supposons que vous souhaitiez spéculer et que vous soyez enclin à croire que les actions de la Compagnie du gaz vont baisser. Elles cotent cinq cents francs. Vous décidez alors d'en vendre dix à terme, c'est-à-dire que vous disposez d'un mois avant de les livrer. Il va de soi que vous ne possédez pas l'ombre d'une de ces actions. Vos prévisions s'avèrent exactes et, quelques jours plus tard, le gaz s'effondre à quatre cents francs. Aussitôt, vous acheter vos dix actions. À l'échéance, vous les livrerez au prix des cinq cents francs mentionnés dans le contrat. Vous empocherez la différence, soit cent francs multiplié par dix.
    Une salve d'applaudissements salua ces explications, et l'un des assistants suggéra à l'orateur de créer une école où il inculquerait les rudiments de l'art des transactions.
    — C'est si simple ? Je capte mille francs sans effort ? s'étonna Victor. Votre Bourse m'a tout l'air d'un tripot, il est paradoxal de voir les vagabonds et les mendiants tomber sous le coup de la loi tandis que des coquins qui sont à l'économie ce que le phylloxéra est à notre vignoble trafiquent en toute légalité !
    Les quatre convives reculèrent leurs sièges, outrés. Un provocateur !
    — Monsieur, appartiendriez-vous à l'espèce des boutefeux prolétariens ? Vous m'avez extorqué des informations par traîtrise et je ne puis tolérer... s'indigna Lambert Pagès.
    Il défroissa un billet dans la soucoupe où ses pairs avaient déjà déposé leur contribution au repas.
    —Je vous assure qu'il n'était nullement dans mon intention de vous offenser ! Si j'ai commis une bévue, c'est que je suis novice et que ma naïveté suscite souvent des maladresses de langage. Moi-même, je place mon argent sur des emprunts d'État.
    Loin d'apaiser Lambert Pagès, les propos de Victor renforçaient sa méfiance, et il eût rejoint ses camarades si la voix de la tentation n'eût susurré :
    — Restez donc, je vous offre un dessert et un digestif. Vous êtes M. Pagès, n'est-ce pas ? J'ai un message de la plus haute importance à vous transmettre, accordez-moi la liberté de m'asseoir près de vous.
    Victor agrippa le serveur au passage et le pria d'apporter deux parts de tarte aux poires et deux verres d'armagnac.
    — Ne vous en déplaise, je choisis plutôt une salade de gésiers et un verre de graves, dit Lambert Pagès.
    Les trois boursicoteurs plantés sur la chaussée agitaient les bras vers lui, puis, comprenant qu'il les lâchait, haussèrent les épaules et l'abandonnèrent.
    — Je suis un ami d'Olga Vologda, chuchota Victor, se fiant à son intuition.
    Il eut la satisfaction de constater qu'il avait fait mouche.
    —Olga ? J'ai eu l'honneur de lui être présenté l'hiver dernier au bal de l'Opéra.
    Lambert Pagès enfourna une énorme bouchée de salade qui souligna sa moustache d'un trait de mayonnaise.
    — L'avez-vous rencontrée récemment ?
    — Il y a trois semaines, dans des circonstances tragiques, avoua Lambert Pagès lorsqu'il eut réussi à déglutir. C'était le jour du mariage d'une modéliste du palais Garnier, Maria Bugne, désormais Maria Féralès. Nous étions invités avec des relations. Il s'est produit un accident stupide, un homme s'est noyé. J'en ai encore des cauchemars. Il se débattait, appelait à l'aide, nous nous moquions de lui parce que visiblement l'eau n'était pas profonde et Blandin, le violoniste, affirmait qu'il savait nager. Tony Arcouet, c'était un clarinettiste. Quelle horreur !...
    Victime d'une vive émotion, Lambert Pagès but une gorgée de graves et s'étrangla incontinent. Quelques vigoureuses tapes assenées par Victor entre les omoplates le remirent d'aplomb.
    — Peu de temps après, Olga a été souffrante, elle est en convalescence sur la Riviera, dit Victor.
    Lambert Pagès reposa d'un geste brusque son verre sur la table.
    — Voilà pourquoi

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