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Le petit homme de l'Opéra

Le petit homme de l'Opéra

Titel: Le petit homme de l'Opéra Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Claude Izner
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d'accomplir un mauvais coup.
    — Les coups, nous les avons reçus, pas distribués, rétorqua Victor.
    Rue Raynouard, ils suscitèrent la curiosité des passants, et un gamin leur lança des cailloux en braillant : — Visez ces zèbres ! Y sont pleins comme des boudins !
    — Quand je vous le disais ! Moi qui suis toujours sobre, déplora Lambert Pagès.
    Lorsqu'ils atteignirent son immeuble, il se montra récalcitrant à y pénétrer, craignant qu'on ne les ligote dans sa chambre avant de les achever. Sur le palier du second étage, une femme âgée s'attendrit sur le sort de son voisin.
    — Oh ben, m'sieu Pagès, vous voilà arrangé ! Ce seraity qu'vous avez pris froid ?
    — Oui, oui, madame Chanac, j'ai mal à la gorge.
    — J'allais au marché, il me faut des navets, mais y a pas urgence, j'vais vous préparer une décoction à la guimauve.
    — Jamais plus de guimauve !
    — Dommage, c'est souverain. Vous avez une bouillotte ? Je vous en prête une...
    Pour tout remerciement, Lambert Pagès lui claqua la porte au nez. Il s'affala sur un lit dont les draps n'avaient pas été changés depuis l'été précédent. Froissés, saupoudrés de miettes, ils accueillaient, outre une couverture de cheval, nombre d'éléments de ses effets.
    Victor lui cala derrière la nuque des oreillers aux laies jaunies. Le sang s'était tari, la chair n'était que légèrement entaillée. Dieu merci, la carotide avait été épargnée. Il examina le cuir chevelu, une bosse de moindre importance que la sienne pointait sur l'occiput.
    — C'est grave ? s'enquit Lambert Pagès.
    — Non. Il faut désinfecter et panser, cela cicatrisera vite. J'ai le sentiment qu'on nous a gratifiés d'une mise en garde. Vous trancher la jugulaire eût été un jeu d'enfant. Mais là, des éraflures... Et moi, j'ai simplement été sonné.
    — Ne m'abandonnez pas !
    — Je cherche de quoi vous laver et vous bander.
    — Il y a un robinet sur le palier. Vérifiez que la mère Chanac a décampé, elle serait capable de rameuter les pompiers !
    Lambert Pagès adopta une passivité absolue tandis que Victor débordait d'énergie à le soigner derechef.
    — Y a-t-il un linge propre ?
    — Dans l'armoire. Déchirez un drap !
    — C'est sur votre matelas qu'il devrait être.
    — Ne vous souciez pas de cela. Comme on fait son lit on se couche. Déchirez sans état d'âme.
    Victor s'exécuta et, quand il eut terminé, le visage de Lambert Pagès semblait jaillir d'un cocon neigeux.
    — Reposez-vous, dormez si vous le pouvez, ensuite allez chez un pharmacien ou un docteur.
    — Et que leur raconter ? Que j'ai été éjecté d'un omnibus ?
    — Inventez une histoire, vous avez du bagout. Du moment que vous payez, ils se ficheront de l'origine de vos blessures. Cela vous évitera des complications. Je vous quitte, mes associés sont sûrement navrés d'être privés de ma compagnie.
    Il était un p'tit homme
    Qui s'appelait Guilleri,
    Carabi ;
    Il s'en fut à la chasse,
    À la chasse aux perdrix,
    Carabi...
    — C'est moi, Adonis. La chasse a été fructueuse.
    Melchior Chalumeau enclencha le verrou de son réduit, se frotta les mains et se dépouilla de ses oripeaux.
    — Sur des roulettes, Adonis ! Les pékins n'y ont vu que du feu. Tout de même, avoue que j'ai du génie. Il m'a suffi d'un béret enfoncé sur les yeux, d'une pèlerine d'écolier, d'une paire de galoches et d'un cache-nez entortillé devant la bouche pour me transformer en gentil petit garçon que nul ne remarque. Il fallait que je les épie, tu comprends ? Ce libraire qui fourre son nez partout commence à m'emmouscailler. C'est bien fait ! Tu m'écoutes ? Oui, je compatis, tu souffres d'un satané torticolis, mais j'avais d'autres chats à fouetter que de te ravauder. Pleure pas, un peu de patience.
    Melchior endossa un pantalon étroit, une chemise de coton et une jaquette gris foncé, puis il empaqueta les vêtements d'écolier et les posa sur la chaise d'église.
    — Je vais rapatrier ces nippes au magasin d'habillement. Tu sais, Adonis, circonvenir un cocher de suivre le fiacre de ma tante Aspasie qui m'avait oublié aux Magasins du Printemps fut d'une simplicité biblique. Il a gobé cette fiction sans moufter, d'autant que je lui ai servi d'avance un pourboire royal. Ce qui m'ennuie le plus, c'est qu'il a fallu que je me rase la moustache et les poils des jambes. Bah, ça repoussera ! Un homme qui interprète un rôle doit constamment être prêt à l'assumer, et pour l'assumer,

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