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Le petit homme de l'Opéra

Le petit homme de l'Opéra

Titel: Le petit homme de l'Opéra Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Claude Izner
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en témoigner à la justice. Je ne tiens pas à subir un sort identique à celui de Tony et de Joachim.
    Victor réfléchit. Kenji protesterait avec véhémence s'il lui téléphonait depuis l'appartement, où d'ailleurs les électriciens s'activaient. Le prévenir ultérieurement lui vaudrait un sursis. Quant à Tasha... Pourvu qu'elle n'eût rien entendu !
    Cependant, en dépit de sa lourdeur, elle s'était glissée à sa suite et avait saisi des bribes de conversation. Elle venait de réintégrer sa bergère quand il réapparut. Il ajusta sa veste, se munit de son chapeau, de sa canne, de ses gants, et se courba vers elle.
    — Un client pressé de se procurer un mouton à cinq pattes, mon chéri ?
    — Quelle perspicacité ! C'est exactement cela. Je rentrerai en fin d'après-midi. Résiste à ton désir de peindre. Euphrosine ne va guère tarder et te mitonnera un de ces ragoûts dont elle a le secret.
    — Engraisser davantage ? Ah, non !
    — Pense à l'enfant.
    — Toi de même, et n'écoute plus les balivernes, dont te régalent tes relations.
    — Est-ce une allusion à un épisode précis ?
    — Je songeais à ce concert nocturne dans les Catacombes auquel Iris prétend que Jojo a assisté en ta compagnie ce fameux soir où tu étais chez le duc de Frioul. Elle est dotée d'une débordante aptitude à la fantasmagorie... Dépêche-toi, ton client et Mme de Salignac vont trépigner.
    Il lui lança un regard indécis et finit par la quitter. incapable de déchiffrer son expression énigmatique.
     
    Augustin Valmy s'impatientait. Son fiacre, coince parmi un flot de véhicules, refusait d'avancer.
    « Je vais les perdre, pensa-t-il, je vais les perdre, c'est bien ma veine. »
    Penché à la portière, il parcourut le boulevard pour repérer le numéro de la voiture empruntée par Victor et son visiteur. Elle avait disparu.
    Lambert Pagès conseilla au cocher de s'arrêter quai de Passy.
    — Si nous suivons le passage des Eaux 33 , il nous suffit d'escalader un escalier et nous aboutirons aussi sec rue Raynouard. C'est là que je crèche, expliqua-t-il.
    Victor s'étonna que l'immense derrick ajouré de la tour Eiffel, planté sur la rive gauche, contemple cette voie surgie du passé. Deux mondes se côtoyaient, l'un dressait ses poutrelles de fer à l'assaut des nuages, l'autre semblait échappé de quelque gravure de Gustave Doré. La pente était rude, il regretta vivement d'avoir chaussé des bottines rigides.
    Les marches fendillées, qui auraient enchanté un troupeau de chèvres, s'étalaient d'une paroi couverte de lierre à une muraille semée de taches et de moisissures. Victor avisa une potence et un croisillon, restes d'une lanterne à quinquets semblable à celle que Jean Valjean détruisait dans Les Misérables afin de semer le policier Javert près du couvent du Petit-Picpus.
    Ils s'engagèrent sous une voûte et débouchèrent rue Raynouard. Victor eut l'impression de retrouver la vie civilisée. Des immeubles, des pavillons, des boutiques, des véhicules. Son cicérone désigna une maison où Benjamin Franklin avait initié ses expériences de paratonnerre. Lui-même logeait au numéro 42 dans un garni voisin de celui qu'avait occupé le chansonnier Béranger.
    Ils marchèrent jusqu'au 27 et franchirent la porte via laquelle, grâce à l'obligeance de la baronne Bartholdi, Lambert Pagès pénétrait à volonté à l'intérieur du parc Delessert déserté de ses curistes 34 . Pourtant, à en croire le boursicoteur, cet endroit avait attiré de nombreux particuliers à la santé chancelante. Et, parmi elles, des célébrités telles que Mme de Tencin, Jean-Jacques Rousseau et Benjamin Franklin.
    — C'est d'un trésor providentiel que l'abbé Le Ragois, ex-aumônier de Mme de Maintenon, hérita en achetant son domaine : trois sources d'eau minérale. Ainsi, Passy devint célèbre à partir de 1720, énonça Lambert Pagès entre deux ahans. En réalité, ce trésor avait été décelé dès le milieu du XVII° siècle. Ensuite, on apprit à étudier ses propriétés thérapeutiques. On affirmait que les eaux étaient « martiales » et « balsamiques ». Elles guérissaient, selon certains, les femmes stériles et celles qui étaient affligées de vapeurs, ajouta-t-il en guidant Victor à travers des pelouses vallonnées où des bataillons de pâquerettes investissaient le gazon.
    Ils dépassèrent un chalet rapporté en pièces détachés de Suisse en 1825 et orné de moulures et de vitraux.

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