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Le petit homme de l'Opéra

Le petit homme de l'Opéra

Titel: Le petit homme de l'Opéra Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Claude Izner
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fut l'apothéose, un ballet siamois dont les danseuses, drapées de kimonos et coiffées de pagodes, tournicotèrent autour d'une déesse à six bras en maillot chair, les seins protégés par des coquilles Saint-Jacques. Elle agitait deux tridents qu'un diable, la peau passée au cirage noir, lui arracha et foula de ses pieds fourchus. Les siamoises en perdirent leurs atours et la troupe entama une sarabande impudique scandée par les applaudissements des spectateurs et les flaflas des musiciens.
    — Ben, la reine Mab dans tout ça ? cria Joseph.
    — La reine Mab ? Vous la verrez pas ici de si tôt, elle répète pour la foire du Trône, l'informa la dame obèse. D'ailleurs, c'est pas une grosse perte, vu que cette sacrée gaillarde et ses ouistitis ont l'art de vous embobiner. D'après eux, je devais récolter un mari dans l'année, avec des picaillons en prime, soi-disant parce que le marc de café dessinait des ronds parfaits au fond de l'assiette. Résultat des courses, pas un mâle a l'horizon et les picaillons, macache.
    L'inspecteur adjoint, adossé à la porte, s'empressa de noter les renseignements que la commère venait de lui fournir gracieusement et prit la poudre d'escampette.
    Victor et Joseph piétinèrent le long d'un corridor. S'ils avaient examiné la marée humaine reflétée par les hautes glaces, ils auraient distingué la silhouette d'Augustin Valmy, suivie de celle de Kenji, mais ils étaient plongés dans l'expectative inquiète de leur accueil à la maison et ils jouèrent des coudes afin de s'extraire de la cohue.
    Samedi 17 avril, une heure du matin
     
    Les chaussures à la main, Joseph franchit le seuil de son appartement.
    — Ah ! te voilà, toi !
    Euphrosine Pignot, plus agressive que jamais, se découpait dans l'embrasure de la cuisine.
    — Maman, tu es encore là ?
    Elle laissa éclater sa colère et son ressentiment avec une force peu commune, tout en prenant garde de ne pas hurler.
    — C'est à c't'heure-ci que tu rentres, alors que ta femme est en pâmoison ! Jésus-Marie-Joseph, qu'est-ce que j'ai fait au Bon Dieu pour écoper d'un fils pareil ! J'étais tranquillement en train de dormir quand une voisine est venue m'avertir, j'ai cru que mon cœur allait lâcher !
    — Iris est malade ?
    Il voulut se précipiter, elle s'interposa.
    — Elle agonise et toi, tu cours la gueuse !
    Affolé, il la bouscula et jaillit dans la chambre à coucher. Iris était allongée, le Dr Reynaud, stéthoscope au cou, l'auscultait. Il lui prit le pouls, consulta sa montre et sourit à Joseph.
    — Ce n'est rien, mon garçon, remettez-vous, sinon vous allez aussi me faire un malaise, une patiente me suffit. Comment vous sentez-vous, ma petite dame ?
    — Je me sens bien, docteur. J'ai eu un simple vertige.
    — Parfait, parfait, c'est votre deuxième ? demanda-t-il à Joseph.
    — Oui, docteur.
    Il était pâle, les traits tirés.
    — Voyons où nous en sommes Monsieur Pignot, veuillez vous en aller. Madame, remontez vos jambes.
    — Mais...
    — Pas un mot de plus, décanille, gronda Euphrosine.
    À regret, Joseph sortit dans le couloir et colla son oreille à la porte qui se rouvrit presque aussitôt.
    — Vous n'avez aucune raison de vous alarmer, ce n'est pas encore le moment. Nous sommes le 17 avril et l'arrivée de votre héritier est prévue à la mi-mai. Jusque-là, repos, sommeil, nourriture saine. Avez-vous l'intention d'accoucher à la maison ou à l'hôpital ?
    — A la maison, intervint Euphrosine. L'hôpital, avec tous ces miasmes, vous déraillez ! Vous vous en chargerez, docteur, n'est-ce pas ?
    — Oui. La petite Daphné va bien ?
    — Nous sommes de grandes camarades, docteur, répondit Iris.
    — Dans six semaines maximum, vous aurez un ou une camarade de plus. Dites-moi, monsieur Pignot, souhaitez-vous une fille ou un garçon, cette fois ?
    — Il s'en fiche, grogna Euphrosine. Il prétend que le plus important, c'est que le bébé soit bien constitué. Moi, je n'ai jamais entendu causer d'un père à qui le sexe de son enfant soit égal.
    — Maman !
    — En tout cas, moi, tout ce que je souhaite, c'est qu'il n'ait pas ton caractère.
    Joseph n'osa protester. Il se mordit les lèvres et déglutit.
    — J'ai recommandé le calme, madame Euphrosine, rappela le Dr Reynaud, laissons-les.
    Ils se retirèrent, alors Joseph donna libre cours à son émotion.
    — Ma chérie, c'est promis, je ne te quitte plus, je n'irai pas travailler aujourd'hui et s'il le faut, dorénavant, ils

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