Le peuple du vent
le tapis et le dos de ma monture, j’ai trouvé ça.
Serlon ouvrit sa bourse et la vida sur la table. Il y avait là des écorces fraîchement taillées qui dégageaient une odeur aigrelette. Hugues se pencha et, sans les toucher, les détailla. Quand il se redressa, son visage était grave.
— Je crois pouvoir dire, sans me tromper, que c’est du bois-joli. Vous dites que c’était sous votre selle ?
— Oui.
— Cela aurait commencé par irriter la peau de votre cheval. Avec le frottement de la selle et votre poids par-dessus, la douleur serait vite devenue intolérable. Il aurait essayé de se débarrasser de vous par tous les moyens, il aurait pu vous piétiner, vous tuer.
— Et avec ma sangle usée, je n’aurais pu me maintenir en selle...
Le silence retomba entre les deux hommes. Enfin, Hugues reprit la parole :
— Y a-t-il eu d’autres événements du même genre ?
— Oui, plusieurs. Peu après la mort de mon fils, je ne sais pas, trois ou quatre mois plus tard, j’ai perdu mon destrier favori. Une bête magnifique. J’étais parti vers la mer. Il est devenu comme fou et je n’ai dû ma sauvegarde qu’au fait d’avoir vidé les étriers. Il a fini noyé dans la rivière d’Ay. Était-ce là aussi des écorces de bois-joli ? Je ne sais. Mais ce n’est pas tout. Le mois suivant, alors que je marchais dans la basse-cour, un moellon s’est descellé du haut des remparts et a chuté sur moi, manquant de peu de me tuer. Et aujourd’hui, je trouve cela sous ma selle...
— Mais qui ? Et pourquoi ?
— Vous le savez, on n’est pas un homme comme moi sans avoir de nombreux ennemis, répliqua Serlon. Et malgré cela, je n’arrive pas à mettre un nom sur ce qui me poursuit. Je me sens en danger. J’ai l’impression qu’on rôde autour de moi. Je n’en ai parlé à personne jusqu’ici. Est-ce la mort de ma soeur qui a ajouté à ce sentiment étrange et diffus ? Puis-je compter sur votre aide ?
Hugues hocha la tête. Lui qui voulait repartir, soucieux avant tout de la destinée de Tancrède et de son engagement... Il savait qu’il ne pouvait faire autrement que de répondre oui à la demande de Serlon. Et puis, sans vouloir se l’avouer, l’ambiance singulière du château de Pirou l’intriguait. Il savait que c’était là un de ses principaux défauts : cette attirance pour l’énigme, cette fascination pour la complexité des hommes et de leurs sentiments.
— J’accepte.
19
Tancrède se dirigea vers les écuries et croisa Mauger, suivi de la petite Clotilde. Les enfants de la morte semblaient hors d’eux-mêmes. Le jeune homme marchait en fixant le sol et sa soeur mettait ses pas dans les siens, l’air préoccupé, les yeux rougis.
Au début, pour attirer l’attention de son grand frère, Clotilde avait trépigné, hurlé et s’était roulée par terre. Puis, quand elle s’était rendu compte que tout cela ne servait à rien, elle s’était mise à le suivre, s’asseyant quand il s’asseyait, se levant, marchant, l’imitant en tout.
Mauger, oublieux du monde qui l’entourait, déambulait en parlant tout seul. Il ne rendit pas son salut à Tancrède. Il ne voyait personne, pas même Randi sa jolie cousine qui, à plusieurs reprises, lui avait adressé la parole sans qu’il lui donne réponse.
Une fois en selle, Tancrède talonna son destrier, évitant les cochons qui cherchaient leur nourriture dans la boue et les immondices le long des douves.
Les soldats de la barbacane le saluèrent. Bjorn s’écarta pour le laisser passer. Comme chaque jour, le solide gaillard apportait le produit de sa pêche et portait sur le dos son épervier, grand filet replié rempli d’une trentaine d’anguilles.
Au loin scintillaient les eaux du lac de Pirou, agitées par les mouvements de la marée haute. Un navire à fond plat venait d’y jeter l’ancre à l’abri des vagues. Le jeune homme ralentit, observant les allées et venues. Sur le pont s’activaient les marins. Les voiles étaient affalées, la coque solidement arrimée au ponton.
À terre, sur la voie menant au château, apparaissait un convoi d’une vingtaine de chariots venus de Créances et de Sainte-Opportune. Comme chaque année à cette époque, l’aumônier le lui avait expliqué, le navire venait récupérer le sel des salines pour le mener à Coutances. C’était le dernier chargement avant l’hiver.
Le jeune homme aspira l’air froid à pleins poumons et repartit, prenant le
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