Le Peuple et le Roi
Genève, et c’est un émigré, le marquis de Limon, et l’ancien secrétaire
de Mirabeau, Pellenc, qui ont écrit le Manifeste, qui sera signé par le
duc de Brunswick, commandant les armées prussiennes.
Louis en prend connaissance le 25 juillet.
On parle en son nom. Mais c’est un général prussien qui s’exprime !
Il lit et relit ce Manifeste de Brunswick, et il
comprend que ce texte va précipiter l’affrontement. Au lieu de « terroriser »
les patriotes, il les incitera à agir, contre qui sinon d’abord contre le roi, la
famille royale et la monarchie ?
Il ressent ce Manifeste comme un acte fratricide contre
lui et sa famille.
« Les deux Cours alliées ne se proposent comme but que
le bonheur de la France, ainsi commence le Manifeste.
« Elles veulent uniquement délivrer le Roi, la Reine et
la famille royale de leur captivité…
« La ville de Paris et tous ses habitants sont tenus de
se soumettre sur-le-champ et sans délai au Roi, de mettre ce Prince en pleine
et entière liberté… »
Louis interrompt sa lecture.
Les patriotes au contraire l’emprisonneront, lui et les
siens. Ils ne se soumettront pas aux ordres de l’empereur autrichien et du roi
de Prusse.
Il lit la fin du Manifeste comme une incitation à en
finir avec le roi, et la monarchie française, puisqu’ils ne peuvent choisir qu’entre
la soumission et la mort.
« … Si le château des Tuileries est forcé ou insulté, s’il
est fait la moindre violence, le moindre outrage à leurs Majestés, le Roi, la
Reine et la famille royale… l’Empereur et le Roi tireront une vengeance
exemplaire et à jamais mémorable en livrant la ville de Paris à une exécution
militaire et à une subversion totale. »
Les patriotes forceront les Tuileries.
Ils couvriront d’outrages Louis et la famille royale.
Louis s’y prépare. Il est sans regret, sans colère, sans
haine.
Dieu choisit.
Les fédérés marseillais, avec à leur tête l’avocat Barbaroux,
secrétaire de la commune de Marseille, sont conviés le 30 juillet à un grand
banquet patriotique aux Champs-Elysées.
Et dans la chaleur moite de l’été orageux, une rixe éclate
entre les fédérés marseillais et les sans-culottes qui les accompagnent et des
gardes nationaux des sections des quartiers bourgeois de Paris, soutenus par
des « aristocrates ». Battus par les Marseillais, ils se réfugient
dans le château des Tuileries. L’un d’eux a été tué.
On crie « Vive la nation ! », « Mort aux
tyrans et aux traîtres ! ».
À la section des Gravilliers, on prépare une mise en
accusation de Louis XVI complice de Brunswick, et on menace les députés :
« Nous vous laissons encore, législateurs, l’honneur de
sauver la patrie ; mais si vous refusez de le faire, il faudra bien que
nous prenions le parti de la sauver nous-mêmes. »
30
Louis sent la sueur couler sur son visage.
Il est devant l’une des fenêtres des appartements royaux du
château des Tuileries. Il se tient un peu en retrait, pour ne pas être vu des
canonniers qui sont derrière leurs pièces dans la cour du château. Et il a
entendu ces gardes nationaux crier, en le voyant, « Vive la nation ! »,
« Vive les sans-culottes ! », « À bas le roi ! »,
« À bas le Veto ! », et « À bas le gros cochon ! ».
Mais d’autres gardes nationaux, et les deux cents
gentilshommes qui sont venus défendre le château, ont répondu : « Vive
le roi ! », « Vive Louis XVI ! », « C’est lui qui
est notre roi, nous n’en voulons pas d’autre ! », « Nous le
voulons ! », « À bas les factieux ! », « À bas
les Jacobins ! », « Nous le défendrons jusqu’à la mort, qu’il se
mette à notre tête ! », « Vive la nation, la loi, la
Constitution et le roi, tout cela ne fait qu’un. »
Il regarde Marie-Antoinette, assise loin de la fenêtre, dans
la pénombre, tentant d’échapper ainsi à la chaleur torride de ces premiers
jours d’août 1792.
Elle est aussi déterminée que ces gentilshommes, prêts à
mourir pour leur roi.
Elle a plusieurs fois dit qu’elle voudrait revoir le roi
monter à cheval, prendre la tête des troupes fidèles, de ces neuf cent
cinquante Suisses que l’on a fait venir de leurs casernes de Rueil et de Courbevoie.
Louis sortirait du château, rallierait à lui les « honnêtes gens », les
gardes nationaux des sections qui veulent que la Constitution soit respectée,
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