Le Peuple et le Roi
suspect.
Mais le temps pour Louis n’est pas à trancher le sort de
Turgot, mais à montrer au peuple que le roi de France l’est de droit divin.
Et c’est à Reims, là où Clovis fut baptisé, que la cérémonie
du sacre va avoir lieu, le 11 juin 1775.
Louis sait qu’il n’oubliera jamais ces jours de juin 1775, ce
voyage jusqu’à Reims, les paysans rassemblés sur le bord des routes, les
acclamations, les cris de « Vive le roi ! Vive la reine ! »
la population de Reims tout entière venue devant la cathédrale, les
illuminations et enfin la cérémonie dans la nef, les serments qu’il faut
prononcer, les évêques qui entourent le roi, la bénédiction des couronne, épée
et sceptre de Charlemagne, puis de ceux de Louis XVI. Le roi se prosterne, s’étend
sur un carreau de velours violet, s’agenouille, reçoit l’onction sur le front, avec
le chrême de la Sainte Ampoule.
Les cinq autres onctions sur le corps lui attribuent les ordres
de l’Église.
Louis n’est pas seulement roi dans l’ordre du politique, mais
roi dans l’ordre du religieux. Et il a pouvoir de faire des miracles.
Roi thaumaturge, il se rendra à l’abbaye de Saint-Remi, touchera
les écrouelles de quatre cents malades, aux corps pantelants et puants.
Le visage de Louis exprime le ravissement.
Le rituel du sacre a transformé le jeune roi et l’a
transporté au-delà de l’Histoire.
Il est l’homme choisi par Dieu pour régner.
Et lorsqu’il regarde autour de lui, il découvre l’émotion de
la reine, des courtisans.
Personne ne peut échapper à ce moment, que closent le lâcher
et l’envol de plusieurs centaines d’oiseaux.
Les acclamations submergent le roi et la reine lorsqu’ils
apparaissent sur le parvis de la cathédrale.
« Il est bien juste que je travaille à rendre heureux
un peuple qui contribue à mon bonheur », écrit Louis XVI à Maurepas qui n’a
pas assisté à la cérémonie.
« J’ai été fâché que vous n’ayez pas pu partager avec
moi la satisfaction que j’ai éprouvée ici », conclut Louis.
Il a refoulé au fond de lui les inquiétudes, la crainte que
ne se développe cette « fermentation » des esprits que notait le
marquis de Mirabeau.
Et il oublie pour quelques jours les « affaires »
qu’il faut trancher. Il veut répondre aux attentes du peuple, faire son bonheur.
« La besogne est forte, mais avec du courage et vos
avis, dit-il à Maurepas, je compte en venir à bout. »
La jeune reine – vingt ans ! – partage cette émotion et
ces bonnes résolutions.
« C’est une chose étonnante et bien heureuse en même
temps, écrit-elle à l’impératrice Marie-Thérèse, d’être si bien reçus deux mois
après la révolte et malgré la cherté du pain… Il est bien sûr qu’en voyant des
gens qui dans le malheur nous traitent aussi bien, nous sommes encore plus
obligés de travailler à leur bonheur.
« Le Roi m’a paru pénétré de cette vérité.
« Pour moi je suis bien sûre que je n’oublierai jamais
de ma vie la journée du sacre. »
On quitte Reims dans l’après-midi du 15 juin 1775, pour
gagner d’abord Compiègne.
Les carrosses roulent joyeusement grand train.
« Je suis libre de toutes mes fatigues », dit
Louis.
« J’espère que vous avez pensé aux moyens dont nous
avons parlé ensemble », ajoute-t-il en s’adressant à Maurepas.
Il s’agit toujours du bonheur du peuple.
« J’y ai pensé de mon côté autant que j’ai pu dans la
foule des cérémonies. »
À cet instant tout lui semble possible, puisque Dieu l’a
choisi.
On va être reçu par Paris.
La foule est encore là, devant Notre-Dame, puis à l’Hôtel de
Ville, mais l’averse rageuse la disperse.
Il est prévu de faire une halte devant le collège
Louis-le-Grand, cœur de l’Université.
Le carrosse s’arrête, mais la pluie est si forte que ni le
roi ni la reine ne descendent de voiture.
On se contente d’ouvrir la portière.
Un jeune homme est là, agenouillé sur la chaussée, entouré
de ses maîtres.
Il attend le carrosse depuis plus d’une heure.
Il est trempé, immobile sous l’averse, cheveux collés au
front, vêtements gorgés d’eau.
Meilleur élève de la classe de rhétorique du collège, il a
été choisi pour lire un compliment aux souverains.
Il lit. La pluie étouffe sa voix.
Il est né à Arras le 6 mai 1758. Il n’est que de quatre ans
le cadet du roi. Il veut être
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