Le Peuple et le Roi
n’en
sont pas dupes.
Pourtant il faut donner le change, quitte à troubler les
monarchistes fidèles. Il faut apparaître comme « le roi de la Révolution »,
apporter sa sanction à la Constitution, à la Constitution civile du clergé.
Mais écrire au nouvel empereur d’Autriche – Léopold II (un
frère de Marie-Antoinette qui a succédé à Joseph II, autre frère de la reine) –
pour lui demander d’envisager une intervention armée en France. Précaution
nécessaire, puisque le pouvoir sacré du roi n’est pas rétabli, que les « enragés
du Palais-Royal » continuent d’attaquer la famille royale, et d’abord la
reine.
On la soupçonne de préparer avec les « noirs » et
les aristocrates émigrés, et le comte Fersen, que les gardes françaises ont
aperçu entrant au château de Saint-Cloud et en sortant au milieu de la nuit, l’« enlèvement »
du roi.
Car on n’ose pas, pour l’instant, accuser le roi. Seul Marat
s’y risque, mais le soupçon affleure partout.
Alors Louis joue toutes les cartes. Y compris celle que
représente Mirabeau.
Le député est reçu par la reine, lui parle avec ferveur, est
séduit par elle.
« Le roi n’a qu’un homme, dira-t-il, c’est sa femme. »
Mirabeau affirme qu’il est capable de sauver la monarchie.
Il n’est plus temps de le rejeter.
Il faut au contraire se l’attacher. Mirabeau est un noble
aux abois, avec les créanciers aux trousses. Louis décide de lui verser une
pension mensuelle, de quoi permettre à Mirabeau de quitter sa chambre d’hôtel
misérable et d’emménager Chaussée d’Antin, dans un grand appartement.
Mais il faut garder le secret, rassurer, consentir, accepter
que la noblesse héréditaire, les ordres de chevalerie, les armoiries, les
livrées, soient supprimés par l’Assemblée.
Et feindre l’indifférence quand le Comité des pensions de l’Assemblée
publie un cahier de trente-neuf pages, vite appelé Livre rouge , qui
contient la liste des pensions, des dépenses extraordinaires versées entre 1774
et le 16 août 1789 !
Deux mille exemplaires sont vendus en une seule journée dans
les jardins des Tuileries, et c’est un déluge de commentaires, une éruption d’indignations,
devant les vingt-huit millions de livres touchés par les frères du roi, les
sommes versées aux Polignac, à tous les proches courtisans, pour un total de
deux cent vingt-huit millions !
Louis craint que son regain de popularité, gagné au cours
des premiers mois de 1790, ne soit perdu.
Necker, porté aux nues par le peuple, est désormais rejeté
car il était hostile à la publication du Livre rouge , et on l’accuse de
n’être qu’un complice des « aristocrates », un valet de la reine… Les
journaux patriotes demandent la diffusion du livre dans toute la France.
« Voilà le catéchisme des amis de la Révolution »,
commentent-ils.
Il faut tenter de faire oublier ce Livre rouge , toucher
le peuple, participer avec la reine et le dauphin à cette fête grandiose que l’Assemblée,
La Fayette, Bailly organisent au Champ-de-Mars le 14 juillet 1790, jour
anniversaire de la prise de la Bastille.
Ce fut une journée sombre pour la monarchie. Il faut la
transmuter en journée de gloire pour le roi.
Louis sait que depuis des mois, dans toutes les provinces, on
se rassemble en « fédérations ». On y crie, comme en Bretagne : « Vivre
libre ou mourir. »
Et l’idée est née, de faire une fête de la Fédération, à
Paris, rassemblant des délégués de tous les départements, des gardes nationaux
représentant leurs régiments.
C’est l’enthousiasme.
On construit un arc de triomphe.
Des femmes, des hommes, de toutes conditions travaillent à
aplanir le Champ-de-Mars, à dresser des gradins en terre, à préparer le
rassemblement d’au moins 300 000 personnes.
La foule chante en travaillant avec ferveur.
Elle entonne :
Les aristocrates à la lanterne
Les aristocrates on les pendra.
mais aussi un Ça ira allègre :
Celui qui s’élève on l’abaissera
Et qui s’abaisse on l’élèvera
Ah ! ça ira ! ça ira ! ça ira !
Temps sombre le 14 juillet. Il pleut souvent par fortes
averses et le cortège, parti à sept heures du matin de la Bastille, arrive à
trois heures au Champ-de-Mars. Un pont de bateaux a été installé pour lui
permettre de traverser la Seine.
Sur une plate-forme de six mètres de haut se trouve l’autel
de la Patrie, entouré de deux
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