Le Peuple et le Roi
jeune Saint-Just. Certains veulent que Robespierre soit proclamé « dictateur ».
L’opinion s’embrase.
« On peut se passer de roi », crie-t-on.
Dans les faubourgs, on dit qu’il faut saigner « le gros
cochon », « Louis le faux ».
On efface, on arrache les effigies du roi, de la reine, des
princes !
On apprend que le comte de Provence, frère du roi, s’est lui
aussi enfui, mais que Philippe duc d’Orléans s’est inscrit au club des Jacobins.
On soupçonne des intrigues, des manœuvres, le duc remplaçant
le roi, un Orléans un Bourbon.
Mais on n’accorde guère attention à cette hypothèse.
On écoute et amplifie les rumeurs selon lesquelles les
armées autrichiennes marcheraient sur Paris.
Puis on se précipite aux Tuileries où tous les appartements
sont ouverts. On ne vole rien. Seul un portrait du roi disparaît, et on déchire
les exemplaires des journaux royalistes, Les Actes des apôtres, L’Ami du roi, trouvés sur un guéridon. Et on se retire quand les scellés, à deux heures
de l’après-midi ce mardi 21 juin, sont posés.
Après, dans les mes, on passe au noir de fumée les mots « roi »
ou « royal ».
« Le soir, note un témoin, dans le jardin des Tuileries
et celui du Palais-Royal, on faisait d’un air tranquille et rassuré les motions
les plus injurieuses au roi et à la royauté. Imaginez ce que l’on peut dire de
plus avilissant vous serez encore au-dessous. »
On entend : « Capet est assez gras pour ce que l’on
veut en faire ! »
« On fera des cocardes avec les boyaux de Louis et d’Antoinette
et des ceintures avec leurs peaux. On réclame leurs cœurs et leurs foies pour
les cuire et les manger. »
Sur une pancarte accrochée aux grilles, on lit : « Il
a été perdu un roi et une reine, récompense honnête à qui ne les retrouvera pas. »
« Le roi s’est détrôné », commente un évêque
constitutionnel.
Et Gouverneur Morris évoque « la nature basse et
cruelle du roi. Il est brutal et hargneux. Il n’est pas étonnant qu’un pareil
animal soit détrôné ».
L’Ami du peuple et Le Père Duchesne sont
impitoyables.
« Voici le moment de faire tomber les têtes des
ministres et de leurs subalternes », écrit Marat.
« Bougre de lâche ! Foutu tartufe ! Je savais
que tu n’étais qu’une bougre de bête, mais je ne te croyais pas le plus
scélérat, le plus abominable des hommes », martèle le Père Duchesne.
Pourtant, l’Assemblée dans sa majorité s’inquiète de cette « nouvelle
révolution » qui semble commencer.
Il faut éviter ce saut dans l’inconnu. Maintenir contre l’évidence
que le roi a été enlevé, qu’il pourrait être suspendu, mais non détrôné.
La Fayette, qui envoie des courriers dans toutes les
directions pour se saisir de la famille royale afin de la ramener à Paris, ne
parle dans les ordres qu’il donne que de roi enlevé.
Mais Le Père Duchesne écrit :
« Bougre de Capet, tu seras trop heureux si tu ne
laisses pas ta tête sur l’échafaud… Ah je me doute bien que tu vas encore faire
le bon apôtre et que secondé des jean-foutre du Comité de Constitution, tu vas
promettre monts et merveilles. On veut encore te foutre la couronne sur ta tête
de cerf, mais non, foutre, ça ne sera pas ! D’un bout à l’autre de la
France il n’y a qu’un cri contre toi, contre ta foutue Messaline, contre toute
ta bougre de race. Plus de Capet, voilà le cri de tous les citoyens… Nous te foutrons
à Charenton et ta garce à l’hôpital. »
Sur la route, la berline a déjà quatre heures de retard à
Châlons-sur-Marne.
Les dragons du marquis de Bouillé se sont repliés.
Les paysans armés de piques et de bâtons, la garde nationale
avec des fusils, les ont entourés, inquiets de la présence de ces troupes.
À huit heures moins cinq du soir, au relais de
Sainte-Menehould le maître de poste Drouet, qui a servi à Versailles dans les
dragons, croit reconnaître la reine, qu’il a souvent vue, et le roi, en la personne
de ce valet de chambre dont le profil ressemble à celui gravé sur les écus et
frappé sur les assignats.
Il observe, il doute, il se tait, laisse la grosse berline
et le cabriolet repartir.
Il est huit heures dix, ce mardi 21 juin.
Et tout à coup deux courriers, qui traversent
Sainte-Menehould. Ils arrivent de Paris. Ils annoncent la fuite du roi.
Les dragons ne les ont pas arrêtés.
Drouet s’élance avec un autre
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