Le Peuple et le Roi
ancien dragon, Guillaume.
Ils passent à Clermont-sur-Argonne, où les hussards au lieu
d’escorter les voitures royales ont crié avec les paysans : « Vive la
nation ! », et ont refusé d’exécuter les ordres concernant ces
voitures suspectes, cette berline énorme, pleine comme un œuf sans doute d’émigrés.
Les hussards sont désarmés, et Drouet et Guillaume, par des
chemins de traverse qui sinuent dans la forêt, gagnent Varennes-en-Argonne, où
ils découvrent la berline à l’arrêt dans le haut du village. Ils avertissent le
procureur-syndic, l’épicier Sauce, le décident à établir une barricade sur le
pont qui enjambe l’Aire. Les voitures arrivent, s’immobilisent.
Le procureur exige que les voyageurs descendent, entrent
chez lui. Le tocsin sonne. Les paysans, la garde nationale se rassemblent. Le
procureur est allé chercher le juge Destez qui a vécu à Versailles.
Pendant ce temps, Drouet compare le visage du valet de
chambre avec le profil royal figurant sur les monnaies.
« C’est le roi, dit-il, qui d’autre d’ailleurs aurait
eu le pouvoir de rassembler autant de troupes ! »
« Si vous pensez que c’est votre roi, vous devriez au
moins le respecter davantage », s’écrie la reine.
Voici le juge.
Il avance dans la petite pièce envahie par la foule.
Et brusquement, il se jette à genoux : « Ah !
Sire ! » s’exclame-t-il.
Louis hésite, se lève.
« Eh bien oui, je suis votre roi. Voici la reine et la
famille royale. »
Il embrasse le procureur-syndic, le juge-syndic puis tous
ceux qui l’entourent.
Il est minuit et demi, le mercredi 22 juin.
Lorsque cent cinquante hussards arrivent à Varennes, il est
trop tard.
Les paysans occupent la rue. La garde nationale a mis deux
canons en batterie. Drouet lance : « Vous n’aurez le roi que mort. »
Les hussards se replient, menacés d’être pris entre deux
feux, et les femmes sur l’ordre de Drouet sont remontées dans les maisons et
sont prêtes à lapider les soldats.
« Les hussards confèrent ensemble, raconte Drouet, et l’instant
d’après viennent se jeter dans les bras de la garde nationale. Leur commandant
s’est échappé. »
On crie : « Vive la nation ! »
« Ils eurent bien tort de céder si facilement, conclut
Drouet, les canons dont on les menaçait n’étaient pas chargés. »
Mais de tous les villages voisins, des paysans armés de faux,
de piques, de fusils et de bâtons arrivent, éclairés par des torches.
Le tocsin de toutes les églises sonne.
Il y aura bientôt dix mille paysans à Varennes.
À cinq heures du matin, ce mercredi 22 juin, les courriers
de La Fayette arrivent et présentent au roi le décret ordonnant le retour du
roi et de la famille royale à Paris.
« Il n’y a plus de roi de France », dit Louis.
Louis voudrait retarder l’instant du départ. Il espère
encore l’arrivée des troupes du marquis de Bouillé, ces trois cents hommes du
Royal-Allemand.
Il feint de dormir. On le réveille. Les paysans, les gardes
nationaux, les autorités municipales souhaitent qu’on se mette aussitôt en
route pour Paris, car ils craignent le massacreur de Nancy, ce marquis de
Bouillé.
Mais le pays tout entier est soulevé, et le Royal-Allemand n’interviendra
pas. Le marquis de Bouillé, après s’être replié à Montmédy, préfère s’enfuir au
Luxembourg.
Le roi et la famille royale n’ont plus qu’à se soumettre, à
entendre les cris de la foule venue s’entasser le long de la route qui conduit
à Sainte-Menehould, à Châlons-sur-Marne.
Les voitures royales roulent lentement, escortées d’une
dizaine de milliers d’hommes à pied et à cheval.
Les injures, les menaces, toute une violence accumulée
depuis des siècles, refoulée, explose, éruption vengeresse. Et Louis ne sait
que répéter : « Je ne voulais pas sortir du royaume. »
La chaleur de cette journée du mercredi 22 juin 1791 est
torride. Un peu avant Châlons, un homme à cheval apparaît, tente de s’approcher
de la berline. Vite désarçonné, il est piétiné, poussé dans un fossé.
C’est le comte de Dampierre qui voulait saluer le roi mais
que les paysans détestent pour son âpreté dans la perception des droits féodaux.
« Qu’est-ce ? » demande Louis XVI qui a vu le
tumulte.
« Ce n’est rien, c’est un homme que l’on tue. »
On arrive à Châlons-sur-Marne à onze heures du soir.
On en repartira le jeudi 23 juin à
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