Le Peuple et le Roi
lancé, n’est fondée que sur
des hypothèses vagues et étrangères ! Que nous importent vos longues et
pompeuses dissertations sur la guerre américaine !… Comme les routes du
patriotisme sont devenues faciles et riantes !… Pour moi j’ai trouvé que
plus on avançait dans cette carrière plus on rencontrait d’obstacles et d’ennemis…
Je décourage la nation, dites-vous, non je l’éclaire. »
Mais Louis entend aussi Couthon, le Jacobin paralytique, déclarer :
« Peut-être la Révolution a-t-elle besoin de la guerre
pour se consolider. »
Il est glacé par les propos du député Hérault de Séchelles
qui envisage de créer « une dictature de salut public ».
« Le moment est venu, déclare Hérault, de jeter un
voile sur la statue de la liberté ! »
Qui subirait cette dictature, sinon le roi et la famille
royale ?
Déjà circule une pétition des « dix mille piques de
Paris », et Couthon précise : « Le plus grand nombre est pour la
guerre et je crois que c’est ce qui convient le mieux. »
Louis est une nouvelle fois saisi par le doute.
Se peut-il que l’intérêt de Couthon, de Vergniaud, coïncide
avec celui de la Cour alors qu’ils expriment des espérances contraires ?
Louis espère que les troupes étrangères réussiront comme
elles l’ont fait en 1787 aux Pays-Bas, en 1790 en Belgique, à rétablir l’ordre,
et les « patriotes » pensent que la guerre leur permettra d’en finir
avec la monarchie, fut-elle constitutionnelle, de donner par la guerre un
nouvel élan à la Révolution. Et c’est pourquoi Brissot a dit que les patriotes
ont besoin de « grandes trahisons ». Et Brissot, Louis ne peut en
douter, souhaite la « trahison » du roi.
Déjà certains « patriotes », évoquant le « comité
autrichien » qu’animerait Marie-Antoinette, dénoncent les « infâmes
traîtres à la patrie, coupables de crime de lèse-nation ».
Et Louis, lorsqu’il lit le discours du député de Bordeaux, Vergniaud,
ce « Girondin », n’a aucun doute sur ce qui peut arriver à la famille
royale.
« De cette tribune, s’écrie Vergniaud à l’Assemblée, en
tendant le bras vers les Tuileries, on aperçoit le palais où des conseillers
perfides égarent le roi… La terreur et l’épouvante sont souvent sorties de ce
palais. Qu’elles y rentrent aujourd’hui au nom de la loi… La loi y atteindra
sans distinction tous les coupables et il n’y a pas une tête qui convaincue d’être
criminelle puisse échapper à son glaive. »
Louis le comprend : l’enjeu de la guerre, c’est pour
lui la vie ou la mort.
Mais la guerre est déjà là.
À Paris, à quelques pas des Tuileries, on pille les
épiceries.
« Les femmes du faubourg Saint-Marceau se sont en grand
nombre répandues dans divers quartiers de la ville. »
On a entendu leurs cris rue Saint-Honoré, dans les rues
autour de la place Louis-XV. Elles cherchent du café et du sucre, devenus rares
et d’un prix exorbitant, depuis que les Noirs de Saint-Domingue et des Antilles
se sont soulevés contre les colons, et ont brisé leurs chaînes d’esclaves.
Elles dénoncent l’« accaparement ». Et elles
réclament la taxation des prix du sucre et du café, mais surtout de la viande
et du pain. Elles entraînent derrière elles les vagabonds, les indigents. Et
les gardes nationaux pactisent avec elles.
Tous les jours, des émeutes éclatent, faubourgs
Saint-Antoine et Saint-Marceau.
Dans les provinces, les subsistances manquent. La récolte de
grains a été médiocre dans le Centre et le Midi. Les habitants des villes et
des villages proches de Paris refusent de laisser partir leurs grains vers la
capitale. Partout c’est la même inquiétude, les mêmes scènes : voitures
chargées de grains arrêtées, pillées, boulangeries saccagées, pain taxé. Et la
garde nationale l’arme au pied, et jamais le recours à la loi martiale.
Et pourtant l’on tue.
À Étampes, le 3 mars 1792, les habitants veulent arrêter les
convois de grains qui traversent leur ville. Ils les pillent, exigent une
taxation du pain.
Le maire, Simoneau, s’avance, accompagné d’un détachement de
cavalerie, tente d’expliquer que la libre circulation des grains est voulue par
la Constitution, que la liberté du commerce permettra que l’on obtienne un
juste prix, qui satisfera consommateurs et fermiers. Mais des coups de feu
partent des rangs des émeutiers et Simoneau est
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