Le Peuple et le Roi
Voilà le résultat du Conseil d’hier. Il est
bon de connaître ce projet pour se te nir sur ses gardes ; selon les
apparences cela s’effectuera promptement. »
Louis cependant doute.
Il lui suffit de croiser les gardes nationaux dans les
couloirs et les salons des Tuileries pour mesurer que l’enthousiasme patriotique
et la volonté de se battre ont chassé le doute et la peur. Le peuple est résolu.
Dans les rues voisines du palais, la foule défile et chante.
Le 25 avril 1792 à Strasbourg, un jeune officier du génie, Rouget
de L’Isle, né à Lons-le-Saunier, entonne, dans le salon du maire de la ville, Dietrich,
un « Chant de guerre pour l’armée du Rhin » qu’il vient de composer.
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Louis ferme les yeux.
Il voudrait qu’en cessant de lire ces rapports, ces lettres
qu’on lui adresse, ces journaux et ces copies de discours qu’on dépose sur sa
table, la réalité de ce mois de mai 1792 s’efface. Qu’il ne reste que ce ciel d’un
bleu soyeux, que ces pousses d’un vert léger, que cette brise matinale, si
fraîche. Et que ce printemps radieux l’entraîne d’un pas allègre. Mais Louis ne
quitte plus le palais des Tuileries.
L’Assemblée a décidé de licencier six mille hommes de la
garde du roi, comme si on voulait le livrer à ces bandes de sans-culottes des
faubourgs qui, presque chaque jour, depuis que roulent les dés de la guerre, viennent
défiler, rue Saint-Honoré, place Louis-XV, et hurlent leur haine.
Ce n’est pas la peur qui étreint Louis et le fait se
calfeutrer dans les appartements royaux, mais la souffrance qu’il éprouve à
entendre ces cris, à voir son peuple brandir des piques, des scies, des coutelas,
des poignards, des bâtons, à constater que le pire qu’il avait imaginé est
survenu, plus vite qu’il ne l’avait cru.
Il a suffi de quelques jours, moins de dix après la
déclaration de guerre, pour que l’armée du Nord, qui avait pénétré en Belgique,
se défasse, que la panique et la déroute la transforment en une cohue
indisciplinée, accusant les officiers aristocrates de trahison, massacrant le
général Dillon à Lille. Et peu après, le régiment du Royal-Allemand passait à l’ennemi.
Mais qui est l’ennemi ?
Ces Autrichiens du roi de Bohême et de Hongrie, François II,
empereur d’Autriche et neveu de Marie-Antoinette ? Ces Prussiens de
Frédéric-Guillaume II qui se sont alliés à François II ?
Ou bien les vrais ennemis ne sont-ils pas ces Cordeliers, ces
Jacobins, ces Montagnards, ces brissotins, et tous ces sans-culottes lecteurs
de Marat et de Camille Desmoulins ?
Louis rouvre les yeux, lit ce rapport sur les premières
défaites et il devrait s’en réjouir, comme le font Marie-Antoinette et son
entourage.
Mais il ne le peut pas.
Cette violence qui se déchaîne est une tumeur qui rongera
tout le royaume, et Louis le craint, Louis le pressent, et dévorera la famille
royale et la monarchie. Louis a l’impression en apprenant ces événements qu’on
lui arrache des lambeaux de chair, dans la gorge, dans la poitrine.
« Ce qu’il y a de plus fâcheux est que cette défaite a
produit des crimes horribles dans Lille, lit-il. Les vaincus n’ont pu croire qu’ils
l’avaient été par leur faute ; ils ont attribué leur défaite à la trahison.
En conséquence ils ont tué le général Dillon et M. Berthois. Le corps de M. Dillon,
tué d’un coup de pistolet dans la rue par un dragon, a été mis en pièces et
brûlé. M. Berthois a été pendu à un réverbère parce qu’il n’avait pas fait
tirer le canon, lui qui n’avait aucun commandement dans l’artillerie. Ils ont
pendu encore cinq ou six Tyroliens comme espions ou faux déserteurs et l’on
assure qu’ils étaient de vrais prisonniers de guerre. Le même jour, 30 avril, on
a pendu aussi l’ancien curé de la Magdeleine de Lille ; nommé Savardin, ce
malheureux prêtre dissident, grand chambardeur du nouveau clergé, s’était
réfugié chez les Ursulines déguisé en femme et s’y croyait bien caché. Il a été
reconnu par une femme même qui l’a livré à la multitude furieuse. En un moment
il a été accroché à une lanterne avec ses habits de femme, en mantelet noir et
jupon blanc. »
On accuse La Fayette de trahison : Robespierre et Marat
affirment que « Blondinet » prépare un coup d’État. Marat est le plus
violent dans ces réquisitoires. Et, dans L’Ami du peuple , il invite les
soldats à
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