Le pianiste
que je passe ici augmente mon
tourment.
6 juillet 1943
Pourquoi Dieu tolère-t-Il cette guerre affreuse et son
cortège de sacrifices humains ? Rien que de penser aux raids aériens, à l’horrible
angoisse des populations civiles innocentes, à la barbarie du traitement
réservé aux prisonniers des camps, au massacre de centaines de milliers de
Juifs par les Allemands… Dieu est-Il responsable ? Pourquoi n’intervient-Il
pas ? Pourquoi laisse-t-Il tout cela arriver ? Ces questions, nous
pouvons les poser mais nous n’obtiendrons pas de réponse. Nous sommes tellement
enclins à reporter la faute sur les autres plutôt que sur nous-mêmes ! Si
Dieu permet au mal d’advenir, c’est parce que l’humanité a épousé sa cause. Et
maintenant nous commençons à ressentir le fardeau de notre méchanceté et de
notre imperfection. Lorsque les nazis ont pris le pouvoir, nous n’avons rien
fait pour les en empêcher. Nous avons trahi nos idéaux. Notre foi dans la
liberté individuelle, démocratique, religieuse…
Les travailleurs ont suivi les nazis. L’Église est restée
impassible. Les classes moyennes étaient trop pleutres pour tenter quoi que ce
soit, tout comme les intellectuels les plus en vue. Nous avons accepté la
dissolution des syndicats, le bannissement des cultes, l’étouffement de la
libre expression dans la presse ou à la radio. Et puis nous nous sommes laissé
entraîner dans la guerre. Nous nous sommes satisfaits d’une Allemagne privée de
représentation démocratique, nous avons toléré que des hommes sans vision ni
réelle compétence prétendent parler en notre nom. Mais on ne trahit pas
impunément les idéaux et désormais nous devons tous en accepter les
conséquences.
5 décembre 1943
L’année qui vient de s’écouler n’a été qu’une succession de
déroutes. Nous nous battons actuellement sur le Dniepr : l’Ukraine dans
son entier est perdue, et même si nous arrivons à conserver les positions que
nous avons encore dans la région aucun avantage économique ne pourra en être
tiré, bien certainement. Les Russes sont tellement déterminés qu’ils
parviendront toujours à nous rejeter de leur territoire. L’offensive
britannique a commencé en Italie et là encore nous ne cessons de perdre du
terrain. Les villes allemandes sont détruites l’une après l’autre. C’est le
tour de Berlin, désormais. Et Leipzig subit des bombardements incessants depuis
le 2 septembre. Cette « guerre des sous-marins » tant vantée est un
échec complet. Ceux qui parlent encore de victoire, que prétendent-ils espérer ?
Nous n’avons pas été capables de rallier à notre cause un seul des pays que
nous avons occupés. Nos alliés, la Bulgarie, la Roumanie et la Hongrie, ne
peuvent apporter qu’une aide ponctuelle, locale. Ils doivent seulement s’estimer
heureux s’ils arrivent à surmonter leurs difficultés internes, et ils se
préparent à voir leurs frontières attaquées par les puissances ennemies. Ils ne
peuvent nous être d’aucune aide, sinon sur le plan économique : la
Roumanie nous fournissant son pétrole, par exemple. En termes de stratégie
militaire, leur contribution est pratiquement nulle. Et depuis le renversement
du pouvoir fasciste en Italie ce pays n’est plus pour nous qu’un champ de
bataille aux portes du Reich, où les combats font encore rage, pour l’instant.
La supériorité des forces ennemies est écrasante. Celui qui
tente de se remettre debout est aussitôt jeté à terre. Telle est la situation
présente. Alors comment croire encore que nous pourrions renverser le cours de
la guerre en notre faveur ? Plus aucun Allemand n’espère la victoire, d’ailleurs,
mais comment se tirer de cette impasse ? Il n’y aura pas de révolution
chez nous parce que personne n’a le courage de risquer sa vie en s’affrontant à
la Gestapo. Et si quelques-uns l’osaient, à quoi cela servirait-il ? La
majorité du peuple serait sans doute d’accord avec eux mais c’est une majorité
enchaînée, humiliée. Depuis dix ans, les individus n’ont eu aucune chance d’exprimer
leur libre arbitre, et la population dans son ensemble encore moins : les
balles de la Gestapo auraient aussitôt commencé à pleuvoir.
Il n’y a pas de coup d’État militaire à attendre, non plus. L’armée
est délibérément conduite à la mort. Dans ses rangs aussi, la moindre velléité
de résistance qui pourrait déclencher
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