Le pianiste
« Nous ne sommes
pas des héros, nous, mais des gens tout ce qu’il y a d’ordinaire ! Et c’est
pourquoi nous préférons prendre le risque de garder l’espoir même dans ces dix
pour cent de chances que nous avons de survivre. » Ainsi que cela peut
arriver dans toute authentique tragédie, ils avaient raison, l’un et l’autre.
Fallait-il résister, ou non ? Cette question à jamais
ouverte, les Juifs l’ont débattue des milliers de fois, considérée sous tous
ses aspects, et nul doute que leur descendance continuera à le faire. Pour ma
part, je suis enclin à une approche plus pragmatique : comment ces
malheureux, tous des civils, comment ces femmes, ces enfants, ces vieillards
que Dieu et le reste du monde avaient abandonnés, comment ces hommes malades et
affamés auraient-ils pu se défendre face à une entreprise d’extermination aussi
systématique, aussi parfaite ? La résistance était impossible… et
cependant elle a existé. Le soulèvement armé du ghetto de Varsovie, ainsi que
les centaines d’actes de bravoure dont les partisans juifs ont été capables, prouvent
qu’elle a même pu être fort efficace. Et il y a eu aussi des révoltes à Sobibor,
voire à Treblinka… Je pense également à Lydia Vago et à Sarah Ehrenhalt, réfugiées
en Israël après avoir survécu au travail forcé à la cartoucherie « Union »
d’Auschwitz, la fabrique d’où ont été sortis les explosifs qui allaient
permettre de détruire l’un des fours crématoires du camp.
Wladyslaw Szpilman a pris une part active à cette courageuse
résistance. Il le mentionne rapidement dans son récit, avec une grande modestie :
ce n’était pas seulement du pain ou des pommes de terre qu’il rapportait
clandestinement de la partie aryenne de la ville où sa colonne de forçats était
conduite chaque jour par les nazis, mais aussi des munitions.
La présente édition offre également aux lecteurs, pour la
première fois, des extraits du journal de Wilm Hosenfeld, cet officier de la
Wehrmacht sans lequel Szpilman, un Juif polonais, n’aurait probablement pas
survécu. Enseignant de profession, Hosenfeld avait déjà servi sous les drapeaux
en tant que lieutenant au cours de la Première Guerre mondiale, ce qui
expliquerait qu’il ait été jugé trop âgé pour être envoyé au front en 1939, recevant
une affectation plus administrative qu’opérationnelle : il était chargé de
superviser toutes les installations sportives de Varsovie réquisitionnées par
la Wehrmacht afin que ses soldats puissent se maintenir en bonne condition
physique. Dans les derniers jours du conflit, le capitaine Hosenfeld allait
être fait prisonnier par l’armée soviétique. Il est mort en captivité sept ans
plus tard.
Au début de son épopée, Wladyslaw Szpilman est sauvé par un
des membres de la police juive du ghetto, tant haïe par ses habitants ; à
la fin, c’est un officier allemand qui découvre le pianiste moribond dans les
ruines désertées de Varsovie, et qui non seulement l’épargne mais lui apporte
de la nourriture, un édredon et un manteau dans sa cachette. On se croirait
dans un conte de fées hollywoodien et pourtant cette terrible histoire est bien
réelle. L’un des représentants abhorrés de la « race supérieure » s’est
transformé en ange gardien. Et alors qu’il est désormais évident que l’Allemagne
d’Hitler a perdu la guerre, le fugitif a la prévoyance de donner à son anonyme
protecteur une information importante : « S’il vous arrive quoi que
ce soit, si je peux vous aider d’une quelconque manière, retenez mon nom :
Szpilman, à Radio Pologne. » Je tiens de l’intéressé lui-même qu’il a
entrepris de rechercher son sauveur dès 1945. Sans succès : lorsqu’il s’est
rendu à l’endroit où son ami violoniste avait aperçu cet homme, le camp de
détention provisoire avait déjà été déplacé.
Hosenfeld est donc mort en détention, à Stalingrad, un an
avant la disparition du maître de l’URSS. Pendant sa captivité, il avait subi
des tortures constantes car les officiers soviétiques prenaient pour un
mensonge particulièrement révoltant son insistance à affirmer qu’il avait sauvé
la vie à des Juifs. Victime de plusieurs accidents cérébraux, il avait fini sa
vie très diminué, un enfant battu qui ne comprend pas pourquoi on le roue de coups,
tout espoir ruiné en lui. Mais il avait tout de même réussi à envoyer son
journal intime
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