Le pianiste
autres, la haine, la fausseté, la licence
sexuelle qui à son tour conduit à l’infécondité et au déclin du peuple allemand.
Et si Dieu autorise tout cela, s’Il laisse ces forces régner sur nous, s’Il
tolère que tant d’innocents perdent la vie, c’est afin de montrer à l’humanité
que sans Lui nous ne sommes que des animaux en lutte acharnée, persuadés que la
survie de l’un passe par la destruction de l’autre. Nous ne voulons plus
écouter ce sublime commandement, « Aimez-vous les uns les autres ». Très
bien, constate Dieu : alors essayez donc celui du Diable, la prescription
inverse, « Haïssez-vous les uns les autres »… Nous connaissons tous
le récit du Déluge dans les Écritures saintes. Pourquoi la première race d’hommes
a-t-elle connu une fin aussi tragique ? Parce qu’ils s’étaient détournés
de Dieu. Ils devaient mourir, coupables comme innocents. Ils étaient les seuls
responsables de leur châtiment. Et il en va de même aujourd’hui.
6 septembre 1942
Un officier des troupes d’élite venu participer à un tournoi
d’escrime chez nous m’a confié les abominations que son unité a commises dans
la ville de Sielce, un centre administratif régional. Il était tellement
indigné, révolté, qu’il a entièrement oublié que nous étions en assez nombreuse
compagnie, dont un haut responsable de la Gestapo. Un jour, les Juifs ont été
sortis du ghetto et conduits en cortège à travers les rues. Hommes, femmes et
enfants, dont plusieurs ont été abattus sous les yeux des Allemands présents et
de la population polonaise. On a laissé les femmes se vider de leur sang sous
le soleil d’été, sans le moindre secours. Des petits qui avaient réussi à se cacher
dans des immeubles voisins ont été défenestrés. Ensuite, les milliers de
survivants ont été emmenés près de la gare. Les trains qui devaient les
emporter n’étant pas là, ils ont dû attendre trois longues journées dans la
fournaise sans rien à manger ni à boire. Dès que l’un d’entre eux se remettait
debout, il était fusillé sur-le-champ, à la vue de tous. Et puis on les a entassés
à deux cents dans des wagons à bestiaux qui ne pouvaient contenir que
quarante-deux personnes. Où sont-ils partis ? Que leur est-il arrivé ?
Personne n’avouera qu’il connaît la réponse à ces questions et pourtant la
vérité devient impossible à dissimuler : de plus en plus de gens arrivent
à s’échapper, et leurs récits commencent à porter ces atrocités au grand jour. C’est
un endroit qui s’appelle Treblinka, à l’est du territoire polonais sous
contrôle allemand. Quand les trains y déchargent leur cargaison humaine, beaucoup
sont déjà morts. Tout le camp est entouré de murs et ce n’est qu’une fois à l’intérieur
que les wagons sont vidés, les morts étant laissés en tas au bord de la voie
ferrée. À chaque nouvel arrivage de prisonniers valides, ceux-ci doivent
charrier les cadavres plus loin, creuser de nouvelles fosses et les recouvrir
de terre une fois pleines. Puis ils sont eux-mêmes abattus et ceux qui
faisaient partie du convoi suivant s’occupent des restes de leurs prédécesseurs…
Les milliers de femmes et d’enfants débarqués là sont contraints à se
déshabiller, puis on les enferme dans un baraquement mobile et on les gaze. Ensuite,
cette prison mortelle est positionnée au-dessus d’un fossé. Une des parois
latérales s’ouvre, le plancher se soulève mécaniquement et les cadavres sont
déversés dans le trou.
Tout cela se répète depuis déjà longtemps. Des malheureux
venus de toute la Pologne convergent à Treblinka. Certains sont tués aussitôt
parce que l’affluence dépasse les capacités meurtrières des installations, mais
s’ils sont encore trop nombreux ils sont conduits ailleurs. Une affreuse odeur
de mort plane sur toute la zone. C’est un Juif rescapé qui a dépeint ce tableau
à l’officier dont j’ai recueilli les confidences. Avec sept de ses compagnons d’infortune,
il a réussi à s’enfuir et vit maintenant à Varsovie. D’après ce que je
comprends, ils sont un certain nombre dans ce cas, ici. Le fugitif a montré à
cet homme un billet de vingt zlotys qu’il avait pris dans la poche d’un cadavre.
Il l’a plié et replié soigneusement afin que le papier conserve les effluves
pestilentiels des corps en décomposition, et lui rappelle constamment qu’il
doit venger ses
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