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Le pianiste

Le pianiste

Titel: Le pianiste Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Wladyslaw Szpilman
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frères.
     
     
    Dimanche 14 février 1943
     
    Le dimanche, on peut s’abandonner à ses réflexions, oublier
un moment l’armée et les exigences du service, et il arrive souvent alors que
des pensées reléguées dans son inconscient reviennent à la surface. L’angoisse
m’étreint quand je songe à l’avenir. Encore maintenant, en revivant dans ma
tête ces années de guerre, je suis tout bonnement incapable de comprendre
comment nous en sommes arrivés à commettre de pareils crimes contre des civils
sans défense, contre les Juifs. La question revient, sans cesse : comment
est-ce possible ? Je ne vois qu’une seule explication possible : les
êtres qui ont été capables de concevoir, de commander ou d’autoriser ces actes
ont perdu jusqu’au dernier sens de leurs responsabilités humaines. Ce sont d’inamendables
mécréants, des monstres de vanité, de répugnants matérialistes.
    L’été dernier, lorsque les assassinats en masse de Juifs ont
été perpétrés, lorsque tant de femmes et d’enfants ont été massacrés
impitoyablement, je me suis pratiquement convaincu que nous allions perdre
cette guerre : plus rien désormais ne la justifiait en tant qu’exigence d’un
espace vital, d’une dignité collective. Elle avait dégénéré en gigantesque
tuerie négatrice de toutes les valeurs humaines, et loin d’en accepter les
raisons initiales le peuple allemand dans son entier finirait par la condamner
sans appel. Ces otages polonais torturés, ces prisonniers de guerre
sommairement fusillés, cette dégradation systématique des êtres humains… rien
de tout cela n’était, n’est justifiable.
     
     
    16 juin 1943
     
    Ce matin, j’ai reçu la visite d’un jeune homme dont j’ai
connu le père à Obersig. Affecté à un hôpital de campagne à Varsovie, il a été
directement témoin de l’exécution d’un civil désarmé par trois policiers
allemands. Après lui avoir demandé ses papiers dans la rue et découvert qu’il
était juif, ils ont entraîné ce malheureux dans une cour d’entrée et l’ont
abattu froidement. Puis ils ont dépouillé le corps de son manteau et l’ont
abandonné sur place.
    Voici un autre témoignage de première main, rapporté par un
Juif : « Nous sommes restés sept jours dans la cave d’un immeuble du
ghetto. Au-dessus de nous, tout le bâtiment était en flammes et nous avons dû
nous enfuir, d’abord les femmes puis nous, les hommes. Certains d’entre nous
ont été tués à ce moment. Les autres, nous avons été emmenés à l’ Umschlagplatz et on nous a enfermés dans des wagons à bestiaux. Mon frère a préféré avaler
une capsule de poison. Nos femmes ont été conduites à Treblinka, ils les ont
brûlées là-bas. Moi, j’ai été envoyé en camp de travail. On nous traitait comme
des animaux, sans presque rien nous donner à manger, et il fallait travailler
dur… » Plus tard, dans une lettre, il allait supplier ses amis :
« Faites-moi passer du poison. Je ne peux plus supporter cette vie. Il y a
tant de gens qui meurent ici… »
    Pendant un an, Mme Jait a été domestique dans une
maison réquisitionnée par les services secrets. Elle a été souvent témoin du
traitement affreux qu’ils réservaient aux Juifs. Ils étaient battus sauvagement.
Ils en ont obligé un à rester une journée entière debout sur un tas de charbon,
dans un froid terrible. Un membre des services secrets qui passait par là l’a
abattu d’une balle. Un nombre incalculable de Juifs ont été tués ainsi, sans
raison aucune. Cela dépasse l’entendement.
    Et maintenant ils sont en train d’exterminer les derniers
survivants du ghetto. J’ai entendu un Sturmführer SS raconter avec
satisfaction comment ils abattent les Juifs lorsque ces derniers s’enfuient des
immeubles en flammes. Le ghetto tout entier est ravagé par les incendies.
    Ces brutes pensent qu’il est possible de gagner la guerre de
cette façon. Ils ne voient pas que ce massacre insensé des Juifs nous l’a déjà
fait perdre. Nous nous sommes couverts d’un opprobre ineffaçable. C’est une
malédiction qui pèse à jamais sur nous. Et nous ne méritons aucune pitié, et
nous sommes tous coupables.
    J’ai honte d’aller en ville. N’importe quel Polonais est en
droit de nous cracher dessus. Des soldats allemands sont tués tous les jours
dans les rues. Cela ne peut qu’empirer. Et qui sommes-nous pour nous plaindre ?
Nous ne méritons rien de mieux. Chaque jour

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