Le pianiste

racaille a pu se développer et prendre cette importance au
sein de notre peuple ? Ont-ils libéré aliénés et criminels de leurs asiles
et de leurs prisons pour les envoyer faire régner la terreur ici ? Mais
non, ce sont des gens disposant d’un certain rang dans l’appareil d’Etat qui
ont appris ces comportements à leurs concitoyens jadis inoffensifs. Le mal, la
férocité sont toujours tapis dans le cœur humain et il suffit qu’on les laisse
se développer librement pour qu’ils se mettent à croître, à développer d’obscènes
rameaux, à engendrer les idées monstrueuses qui finissent par rendre possible
qu’on assassine Juifs et Polonais de cette manière.
    Le commerçant polonais que j’évoquais a plusieurs relations
juives et il se rend donc souvent dans le ghetto. Il m’a dit que ce qu’il y a
vu est intolérable. Il craint d’y retourner, désormais. L’autre jour, alors qu’il
passait en pousse-pousse dans une rue, il a assisté à une scène affreuse :
après avoir rassemblé dans l’entrée d’un immeuble un groupe de Juifs, hommes et
femmes, un membre de la Gestapo s’est mis à tirer au hasard dans la foule, faisant
dix morts ou blessés graves. Comme l’un d’eux réussissait à s’enfuir, il l’a
mis en joue, mais il n’a pu l’abattre car son chargeur était vide. Les blessés
sont restés au sol, sans aucune aide : la plupart des médecins ont déjà
été raflés ou tués, et de toute façon on n’est pas censé survivre à ses
blessures, dans le ghetto. D’après ce qu’une femme a raconté à ce Polonais, une
escouade de la Gestapo a opéré une descente à la maternité juive. Ils se sont
emparés des bébés, les ont entassés dans un sac, ils sont ressortis et les ont
jetés dans la carriole d’un fossoyeur, sans que ces monstres ne soient troublés
un seul instant par les cris des nourrissons ni par les lamentations des mères.
On a du mal à y croire mais c’est pourtant vrai. Hier, deux de ces bêtes
féroces étaient avec moi dans le tram. Ils avaient un fouet à la main, l’un et
l’autre, et revenaient du ghetto. J’aurais aimé les précipiter sous les roues
de la rame.
    Quels lâches nous sommes, à nous croire au-dessus de
pareilles horreurs sans rien faire pour les en empêcher ! Nous serons
punis, nous aussi, et nos enfants le seront aussi, bien qu’innocents, parce que
nous devenons des complices en tolérant que tous ces crimes soient perpétrés.
     
     
    Après le 21 août 1942
     
    Le mensonge, voilà le pire des maux. Tout ce qui est diabolique
en dérive. Et on nous a menti, sans arrêt. L’opinion publique est trompée jour
après jour. Il n’y a pas une page de journal qui en soit dépourvue, qu’elle
traite de politique, d’économie, d’histoire, de vie sociale ou culturelle… La
vérité est menacée partout. Les faits sont déformés, manipulés jusqu’à se
transformer en leur contraire. Peut-il sortir du bon de tout cela ? Non !
Pour le salut de l’humanité et de la liberté de pensée, il faut que cela cesse.
Les menteurs et ceux qui défigurent la vérité doivent périr, être dépossédés de
leur pouvoir arbitraire. Alors, alors seulement il y aura à nouveau place pour
une humanité plus libre, plus noble.
     
     
    1 er septembre 1942
     
    Pourquoi cette guerre a-t-elle existé ? Parce qu’il
fallait montrer à l’humanité jusqu’où son impiété allait la conduire. Il y a d’abord
eu le bolchevisme, justifiant ses millions de victimes par le désir d’instaurer
un nouvel ordre sur la planète. Mais c’est seulement en se détournant de Dieu
et de l’enseignement chrétien que les bolcheviks ont été capables d’agir de
cette manière. Et maintenant le national-socialisme commet les mêmes ravages en
Allemagne. On interdit aux gens de pratiquer leur foi, les jeunes sont élevés
dans l’incroyance, l’Église est persécutée, spoliée de ses biens, tous ceux qui
ont le malheur de garder leur libre arbitre sont persécutés, la liberté
naturelle du peuple allemand lui est déniée. Nos concitoyens sont transformés
en esclaves terrorisés. La vérité leur est cachée. Ils n’ont plus aucun pouvoir
sur l’avenir de leur nation.
    Il n’y a plus de commandements réprouvant le vol, le meurtre,
le mensonge, et ce triomphe des intérêts égoïstes, cette négation de la loi
divine ouvrent la voie à toutes les autres manifestations de cupidité impie :
l’enrichissement au détriment des