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Le piège de Dante

Le piège de Dante

Titel: Le piège de Dante Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Arnaud Delalande
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prétendu « Vol du Turc » avaient été tranchés. Les hommes de la Quarantia avaient fait leur travail. Lorsque, fendant la foule que repoussaient les autorités, il parvint à l’entrée principale du palais, il prit de plein fouet l’un des agents qui tentait d’établir avec ses confrères un cordon de sécurité, autant que cela était possible. Celui-ci se retourna, en sueur, prêt à embrocher le nouveau venu. « Ah ! C'est vous ! » Reconnaissant Viravolta, il le laissa passer.
    On se battait au-delà des portes; pourtant, les derniers Oiseaux de feu, postés en vigie sur les toits et les lames de plomb de la prison, s’étaient aperçus que la tentative d’assassinat de Loredan avait échoué, et que des bateaux sortaient sans cesse de l’Arsenal pour empêcher les galères et les frégates de la Chimère de pénétrer plus avant dans la lagune. La prise du port militaire s’était donc, elle aussi, soldée par un échec. La nouvelle s’était alors propagée dans ces lieux presque instantanément. Tout s’était joué comme prévu de manière simultanée, et avec une extraordinaire rapidité – mais certes pas à l’avantage des Stryges. Et tandis qu’au-dehors on continuait de repousser la foule, Pietro s’avança à l’intérieur de la cour. Ici, les escarmouches étaient acharnées. Si certains avaient baissé les bras et se rendaient, d’autres, portés par un sursaut de désespoir, glissaient encore sur les lames de plomb pour plonger à l’intérieur, leurs manteaux dansant dans le vent. On tirait l’épée auprès de la Scala d’Oro et sous les statues de Sansovino ; on se jetait dans les escaliers, tournant autour des piliers; on bondissait de toutes parts, sur les balcons ; on martelait du talon les pavés gris et blancs ; on entendait le bruit des fers qui se croisaient, les cris des blessés, et de temps à autre la détonation de pistolets, qui répandaient autour d’eux de brefs nuages de poudre.
    Pietro considéra un instant ce chaos, prit une inspiration fatiguée.
    Sale journée.
    Puis il se rassembla. A son tour, il tira résolument son épée.
    Bon ! Je crois qu’il est temps d’en finir.
    Au loin, dans la lagune, les combats entre les flottes ennemies eussent pu, en d’autres circonstances, évoquer un tableau de Canaletto, mâtiné du talent d’un Turner échappé de quelque obscure académie, et spécialisé dans les sujets militaires. Dans la fin du jour, les gros nuages blancs roulant sous le ciel, les bateaux aux voiles déployées, les étincelles de feu crachées par les canons, donnaient à cette étonnante représentation la dimension d’une apocalypse. A côté des galères, la silhouette élancée des frégates et des sottili, filant sur les eaux, virant de bord selon les manoeuvres d’attaque et de défense des parties adverses, accentuait le sentiment de mouvement ininterrompu de l’ensemble. On pouvait, depuis le Bucentaure reculé dans la lagune, deviner la minuscule silhouette des combattants juchés sur les mâts, ou s’activant sur les ponts.
    Le Doge avait regagné son trône, à la poupe du navire. A ses côtés, l’ambassadeur de France contemplait ces affrontements en roulant de gros yeux ; mais son sourire s’était figé. Il venait d’assister à tant d’événements consécutifs qu’il ne savait quel parti prendre, entre la frayeur et le soulagement. Il se tourna vers Loredan.
    — Mais... Votre Altesse... Tout cela...
    Le Doge, qui se remettait de ses émotions tandis que Pavi et l’équipage continuaient de faire manoeuvrer le Bucentaure , grimaça sous le masque de plâtre de son visage. Il l’avait échappé belle.
    — C'est... euh... une reconstitution.
    — Ah oui ? demanda Pierre-François de Villedieu, mi-figue mi-raisin.
    — Oui... Nous faisons cela chaque année... Une sorte de... (il se racla la gorge) de tradition, si l’on peut dire.
    Le regard de l’ambassadeur allait et venait du Doge à l’embouchure de la lagune. Tout à coup, un gigantesque champignon noir monta vers le ciel. Dans un infini grincement, le Joyau de Corfou , touché aux flancs à plusieurs reprises, basculait. L'un de ses mâts avait volé en éclats. Des flammes s’élevaient à la proue, il prenait l’eau de toutes parts. Sa poupe ne tarda pas à se dresser vers le ciel. La galère était sur le point de couler, et des marins ennemis se jetaient à l’eau depuis le pont. Plus loin, voyant que la partie était perdue, la Sainte-Marie

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