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Le piège de Dante

Le piège de Dante

Titel: Le piège de Dante Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Arnaud Delalande
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population, sa bouche s’agrandissait visiblement, mais Pavi était incapable, dans la clameur générale, d’entendre la moindre chose.
    Quoi ? Mais que veux-tu me dire ?
    Il mimait, en haut de son crâne, la présence de... de cornes ?
    La vue brouillée, Pavi se retourna et regarda en direction du Doge.
    Desponsamus te, mare, in signum veri perpetuique dominii .
    Loredan, que la cérémonie avait momentanément distrait, se retourna lui aussi en quittant la proue du navire. Il passa la main sur la joue du page et adressa un sourire satisfait à l’ambassadeur Pierre-François de Villedieu, ainsi qu’aux membres de la noblesse réunis sur le Bucentaure . Et soudain, un colosse sembla se dresser devant lui.
    Le Minotaure, et son masque cornu, ses épaules de métal, sa cape pourpre.
    — Francesco Loredan ?..., dit-il d’une voix gutturale – une voix qui résonnait comme une sentence.
    Les traits du Doge se crispèrent.
    Fiche tes yeux en bas, car voici qu’approche
    La rivière de sang où sont bouillis
    Ceux qui ont nui aux autres par violence.
    Le Minotaure balaya d’un geste la cape sur ses épaules, et ses mains plongèrent dans son dos, d’où il sortit, tel un illusionniste, les deux pistolets glissés dans leur étui. Des cris de stupeur se firent entendre. Derrière le masque du Minotaure, Loredan, tétanisé, crut deviner un sourire, et il pensa : Cette fois, c’est la fin.
    Ricardo Pavi hurla en se jetant de toutes ses forces sur le Minotaure. Le colosse bascula. Deux coups partirent en l’air dans un bref nuage de fumée, trouant les voiles et les tentures rouges, tandis qu’il s’effondrait en arrière. Les soldats, comme sortant d’un rêve, se précipitèrent à leur tour. Six personnes roulèrent sur le pont avec le Minotaure, dans la plus totale confusion. Une volée de poings et de piques s’abattit sur lui, au milieu de l’horreur et de la stupéfaction.
    De l’endroit où il se trouvait, Pietro ne distingua pas tout de suite ce qui se passait. On se battait apparemment sur le Bucentaure . Il vit des silhouettes, l’éclair de hallebardes étincelantes. Il avait aussi entendu les coups de feu.
    Enfin, il vit le Doge, dans sa robe d’apparat, qui regagnait la proue du bateau; et Pavi qui se relevait.
    Pietro faillit basculer par-dessus bord en s’effondrant à l’intérieur de l’embarcation.
    Il poussa un soupir de soulagement.
    Le répit fut de courte durée.
    Desponsamus te, mare, in signum veri perpetuique dominii .
    Au détour de la lagune, à la lisière de la Giudecca et du Lido, les galères apparurent. Le Joyau de Corfou , la Sainte-Marie et les bâtiments autrichiens resplendissaient sous le soleil ; des vaisseaux disposés de l’Arsenal à la pointe de San Giorgio, pour verrouiller l’entrée de la péninsule, montèrent de sourdes clameurs. Les galères ennemies, à deux et trois mâts, au gréement carré comme les caraques, pourvues de leur équipage de deux cents rameurs, regorgeant d’armes et de poudre à fond de cale, semblaient prêtes à tonner; elles avaient jailli de l’onde, avançaient toutes voiles dehors. Arbalétriers d’élite et arquebusiers se disséminaient sur les pontons; on ajustait plus de trois cent vingt pièces de canon en direction de la Sérénissime et des bateaux ennemis. Face à ces forteresses mobiles, encadrées des six frégates, l’Arsenal avait certes largement de quoi riposter; mais la lagune fourmillait des esquifs de la fête et les espaces d’ouverture, hors de la péninsule, étaient réduits; plus l’ennemi s’approchait de la ville, plus les manoeuvres seraient compliquées, et accrus les risques d’infliger au camp vénitien des dégâts irrémédiables. Pour l’occasion, on avait ressorti des hangars les héritières de la flotte de guerre spécialisée, avec en tête la légendaire galère subtile, la sottile ; des nuées d’escadres légères, chargées ordinairement de patrouilles lointaines dans le golfe, convergeaient vers les assaillants ; mais rien ne disait que l’interception annoncée arriverait à temps, avant que Saint-Marc, voire le Bucentaure lui-même, ne soient à portée de tir. Une vingtaine d’unités de réserve, placées sous le commandement du capitaine général de la mer, mettaient en batterie leur artillerie.
    Pietro sur sa barque, et Pavi sur le Bucentaure , pensèrent à la même chose. Ils se tournèrent avec angoisse vers la sortie des quais de l’Arsenal. Leur attention

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