Le piège de Dante
Spadetti concevait pour la Guilde des verriers de Murano.
Oui, Federico ! Toi, ton fils et sa Severina, et la robe de cristal. Je me souviens.
Alors Pietro visa le cocher et tira.
— NON ! hurla von Maarken.
L'homme écarta les bras, son chapeau s'envola, et sa mèche de cheveux étrangement rousse, agrémentée d’un ruban noir, s’agita à la manière d’une marionnette derrière sa nuque. Il s’affala en avant, sa veste grise trouée. Le corps sembla osciller un bref instant entre un passage poussiéreux sous l’attelage ou une chute du côté droit. Et par un tour bien singulier, il ne choisit ni l’une ni l’autre des solutions. Il resta là, mort tenant les rênes d’un véhicule chargeant vers d’autres morts. Image infernale : les chevaux fous, l’écume pleuvant de leurs mâchoires, les yeux allumés comme des torches, galopaient sans plus savoir où ils allaient, conduits par un cadavre.
Le funèbre équipage, emballé, avait contraint Pietro à s’en écarter momentanément. Sitôt qu’il fut de nouveau au plus près, il serra les dents...
Tu ne vas pas...
Sans réfléchir davantage, il prit position sur sa monture et s’élança.
Ses mains agrippèrent les cordes qui, sur le toit, retenaient encore les caisses brinquebalantes de von Maarken. Et voici qu’il se trouvait à présent à l’arrière du carrosse, les genoux repliés, son manteau claquant au vent, ses bottes calées contre les montants inférieurs, approchant dangereusement des roues lancées à toute allure. Von Maarken regarda de nouveau à l’extérieur et sa surprise redoubla. Le cheval de Viravolta galopait tout seul. Le duc se tordit le cou pour voir ce qui se passait derrière lui. Il devina la présence de l’Orchidée Noire aux pans de son manteau.
— Mais qu’il cesse! Qu’il s’arrête!
Pietro venait d’assurer sa prise. Libérant une main, en équilibre précaire, il attrapa son épée. D’un geste, il la retourna, de manière que le pommeau se retrouve dans la direction des roues de l’attelage. Il craignait de tomber à tout instant. Il faillit déraper, se rattrapa au dernier moment. Se penchant comme il put, il plongea le pommeau entre les arches et le moyeu. Il dut renoncer la première fois, des vibrations entrechoquées remontèrent jusque dans son épaule et manquèrent de lui faire lâcher prise. Puis, dans un cri, il réitéra sa tentative. Il y eut un craquement. Des éclats de bois volèrent en tous sens, tandis que la roue oscillait soudain sur elle-même, menaçant de quitter son logement. La main gantée de Pietro quitta la corde à laquelle il s’agrippait encore, et il bondit en arrière. Sa réception fut douloureuse ; il roula sur lui-même au milieu de la poussière. Haletant, il écarta une partie de son manteau, venue s’enrouler autour de son visage, et son regard se tourna vers l’attelage.
Vingt mètres plus loin, la roue se dévissa enfin. Le carrosse eut un dernier sursaut, puis sembla s’effondrer sur lui-même. Dans un mugissement du bois, il se renversa, creusant d’abord des sillons dans la terre sèche, avant de basculer pour de bon. Entraînés par ce poids, les chevaux dévièrent sur leur droite ; les caisses amoncelées sur le toit se renversèrent une à une. Une corde claqua. Et, dans un effrayant nuage, l’habitacle du carrosse acheva sa course à l’ombre d’un vallon.
Pietro se releva. Rien de cassé. Il se précipita au sommet du vallon.
Drôle de spectacle. En contrebas se trouvait une mare, dans laquelle ce qui restait du carrosse avait atterri. Les chevaux s’étaient carapatés; un peu plus loin, le cadavre du cocher était étendu. Les caisses avaient dégorgé leur or et leurs étoffes. Quant à von Maarken, il était allongé, lui aussi. Ejecté de l’attelage au moment du plongeon. Sous sa robe, l’une de ses jambes décrivait un angle bizarre. L'autre reposait à demi dans l’eau du lac. Dans la boue, von Maarken était immobile, le visage maculé de sang. Il respirait bruyamment.
Pietro dévala la petite pente et s’approcha.
Le duc ne vit d’abord que la boucle de ses bottes, qui emplissaient tout son champ de vision. Papillonnant des yeux, il tenta de redresser la tête, ce qui lui arracha un gémissement de bête blessée.
« Comme un lézard sous le grand fouet
Des jours caniculaires, changeant de haie,
Semble un éclair s’il traverse la route,
Tel apparut, avançant vers les ventres
Des deux qui restaient là un
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