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Le piège de Dante

Le piège de Dante

Titel: Le piège de Dante Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Arnaud Delalande
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tout entière.
    Mais alors qu’il remontait les Mercerie , il s’arrêta soudain, tétanisé.
    Il venait de tomber nez à nez avec une apparition.
    Elle s’était arrêtée aussitôt elle aussi, au bout de la rue.
    Pietro sentit s’accélérer les battements de son coeur. Surprise, Anna Santamaria avait pâli. Sa main gantée se crispa sur le manche de son ombrelle. Elle n’esquissa plus le moindre geste. Elle était à une vingtaine de mètres de lui ; devant eux des gens passaient, les bousculaient – mais ils ne pouvaient plus bouger, comme pétrifiés. L'instant sembla durer une éternité, tant cette rencontre était impromptue. Pietro la regardait, et il avait de nouveau le sentiment de tomber sous l’effet d’un mystérieux sortilège. Anna était glissée dans le fourreau d’une robe blanche, aux manches garnies de volants transparents, avec une ceinture marine; Pietro avait immédiatement reconnu sa silhouette charmante, son visage aux yeux de biche, ses longs cils comme embués de la proximité de la lagune, cette perruque aux boucles et volutes travaillées, cette gorge moirée qu’ornait un pendentif de saphir, au-dessous d’un mouchoir bleu ciel, qui accentuait encore la beauté de ses seins. Anna Santamaria aux lèvres arrondies dans le souffle de l’émoi, des lèvres qu’elle caressait d’une main inquiète, les prunelles vibrantes – elle le regardait elle aussi. Et elle était belle – mon Dieu! Ici à l’angle des Mercerie , dans cette rue pavée qu’illuminaient les devantures des boutiquiers. La Veuve Noire, appellation bien injuste et bien impropre en vérité, car si elle était danger, ce danger était délicieux, et exquises les tortures qu’elle provoquait; et Pietro eût tout donné pour qu’en effet elle fût veuve, débarrassée d’Octavio, son sénateur de mari. D’ailleurs, où était-il, celui-là? Quelque part sans doute, tapi dans l’ombre, si prompt à lui interdire tout amour vrai. Mais en attendant elle était là, à Venise, et pas en Terre Ferme! Elle n’avait donc pas été reléguée dans quelque couvent affreux, envoyée chez une vieille parente éloignée, ou cloîtrée dans quelque languissante villa de la région aujourd’hui, maintenant du moins – elle était là ! Ottavio croyait-il que Viravolta croupissait toujours en prison ? Etait-ce la raison pour laquelle il avait concédé à son épouse de sortir de sa retraite ?
    Anna Santamaria.
    Les deux amants se contemplaient, stupéfaits, incapables de faire un pas l’un vers l’autre. L'interdit, la prison, la peur de ressusciter en un clin d’oeil une relation que le monde entier condamnait, tout leur revenait. En même temps, en cet instant, leur attitude, et cette espèce de certitude confiante qu’ils avaient l’un envers l’autre, ne mentaient pas.
    Ce regard dura longtemps, puis Anna sortit un éventail et baissa le regard. Ses joues s’étaient empourprées. Elle se détourna. Pietro comprit. Deux de ses suivantes venaient de la rattraper. Par bonheur, elles n’avaient pas vu l’Orchidée Noire. Viravolta s’abrita quelques instants sous le porche de l’une des boutiques, tandis qu’Anna disparaissait à l’angle de la rue.
    Il sentit qu’elle voulait lui jeter un dernier regard, il le sentit à ce simple frémissement qu’il avait deviné, dans sa façon de se retourner.
    Elle s’en fut aussi vite qu’elle lui était apparue.
    Pietro resta là un long moment.
    Elle est ici.
    A Venise.
    Il eut la tentation de s’élancer, de courir après elle. Pure folie. Pas seulement à cause des menaces à peine voilées du Doge et d’Emilio Vindicati, mais aussi parce qu’il pouvait la mettre en danger, elle. Alors, qu’allait-il faire ? Que ferait-il à présent qu’elle était là, si loin, si proche de lui en même temps ? Il lui fallut toute sa force pour se retenir. Il ne savait pas même où elle logeait. Peut-être Ottavio ne l’avait-il amenée en ville que pour une journée ou deux?... Pietro, nerveux, réfléchissait, faisant craquer ses doigts. En tout cas, le seul fait de savoir qu’elle était dans les environs, et qu’elle semblait en bonne santé, lui réchauffait le coeur.
    Oui : voilà qui lui était un vrai soulagement.
    Il sourit, mais il avait la gorge nouée. Il lui fallut un moment pour rassembler ses esprits.
    Bon. Chaque chose en son temps.
    Et tandis qu’il marchait d’un pas vif vers Canareggio, il songeait :
    Elle est là ! Elle est là... et elle

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